(VOVWORLD) - Après plusieurs semaines de manifestations sous la pression de la rue et de l'armée, Sheikh Hasina, Première ministre du Bangladesh depuis quinze ans, a finalement démissionné et quitté la capitale, Dacca, le lundi 5 août. Sa démission plonge le pays d'Asie du Sud dans un avenir incertain, tant sur le plan sécuritaire qu’économique.
Photo: AP |
Les manifestations ont commencé pacifiquement début juillet, lorsque des étudiants ont demandé la fin d'un système de quotas jugé injuste pour accéder à la fonction publique. Cependant, la situation a rapidement dégénéré en violence, entraînant près de 300 décès en plus d'un mois et forçant Sheikh Hasina à se retirer et à quitter le pays.
Des politiques controversées
La colère des étudiants, qui a éclaté le 1er juillet, découle de la réinstauration d'un système de quotas pour les emplois gouvernementaux, très prisés au Bangladesh en raison de leur sécurité et de leur rémunération attrayante. Actuellement, 30% des postes de fonctionnaires sont réservés aux familles des «freedom fighters» - ces combattants de la liberté ayant participé à la guerre de libération contre le Pakistan en 1971. Selon Rashed Al Mahmud Titumir, professeur à l’Université de Dhaka (Bangladesh), cette politique a été mise en place à un moment inopportun, alors que 20% des Bangladais âgés de 15 à 24 ans sont sans emploi ou sans formation. En outre, environ deux millions de jeunes entrent chaque année sur le marché du travail. En 2023, les chances de devenir fonctionnaire étaient de près de 1 sur 100, avec 346.000 candidats pour seulement 3.300 postes. Cette politique de quotas a ainsi suscité une vive controverse et a été vivement critiquée par les groupes étudiants et jeunes, qui la jugent injuste et discriminatoire.
Le 21 juillet, la Cour suprême a décidé de réformer le système de quotas en le réduisant à 5% pour les descendants des héros de la guerre d’indépendance. La répartition sera désormais de 93% au mérite, 5% pour les descendants des héros, et 2% pour les personnes handicapées, les personnes trans et les minorités ethniques. Malgré cette décision, les protestations menées par le mouvement étudiant se sont intensifiées, avec des groupes de manifestants réclamant la démission de la Première ministre, Sheikh Hasina. Les manifestations ont rapidement dégénéré en violents affrontements entre partisans et opposants à la Première ministre, ainsi qu'entre les protestataires et les forces de l'ordre. Le dimanche 4 août 2024 restera gravé comme l'une des journées les plus meurtrières, avec un bilan de 94 morts, dont 14 policiers, contraignant Sheikh Hasina à démissionner après 15 ans de pouvoir et à quitter le pays.
Pour restaurer l'ordre constitutionnel et mettre fin à la vague de violence, le chef de l'armée du Bangladesh, le général Waker-Uz-Zaman, a annoncé lundi la formation d'un gouvernement intérimaire. Il a également précisé avoir déjà pris contact avec les principaux partis d'opposition et des membres de la société civile, tout en appelant les Bangladais à faire confiance à l’armée pour rétablir rapidement l’ordre dans le pays.
«Gardez confiance envers l'armée! J’ai ordonné qu’aucune armée ni police ne fasse usage de la force. Nous répondrons à vos demandes et nous ramènerons la paix et l'harmonie dans le pays. Je demande à tous de soutenir l'armée et de mettre fin à la violence, aux meurtres, au hooliganisme et aux manifestations», a déclaré le général.
Nahid Islam, leader du mouvement étudiant contre la discrimination. Photo: AFP/Munir Uz Zaman |
Un avenir incertain
Le couvre-feu instauré le 20 juillet a été levé dès le mardi 6 août. Les commerces et les écoles peuvent désormais rouvrir. Toutefois, selon les observateurs, l’établissement d’un gouvernement temporaire pour stabiliser le pays, ainsi que l’élaboration d’une feuille de route pour un transfert démocratique du pouvoir par le biais d’élections, représentent un défi majeur pour le Bangladesh dans le contexte politique incertain actuel. L’armée bangladaise n’a pas encore clairement indiqué si elle entendra poursuivre la direction du gouvernement intérimaire, tandis que le mouvement étudiant a annoncé son intention de jouer un rôle clé dans le nouveau gouvernement.
«Nous présenterons bientôt des propositions sur la formation d’un gouvernement intérimaire d’union nationale. Les étudiants et les organisateurs de la récente vague de manifestations feront partie du gouvernement intérimaire, tout comme les représentants de la société civile et des organisations professionnelles. Nous proposerons également le personnel et l’orientation du gouvernement intérimaire», a déclaré Nahid Islam, leader du mouvement étudiant contre la discrimination.
L’instabilité politique au Bangladesh suscite des préoccupations au sein de la communauté internationale. Le 6 août, la Banque mondiale a annoncé qu’elle évaluerait l’impact des récentes évolutions politiques sur ses programmes de prêts accordés au pays. En juin dernier, la Banque mondiale avait approuvé un nouveau prêt de 900 millions de dollars pour aider le Bangladesh à élaborer des politiques fiscales et financières, ainsi qu’à moderniser ses infrastructures afin de mieux faire face au changement climatique. Au total, au cours de l'exercice 2024, qui s’est terminé le 30 juin, la Banque mondiale a prêté 2,85 milliards de dollars au Bangladesh. Bien que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque asiatique de développement (BAD) prévoient une croissance de 6,1% cette année et de 6,5% l’année prochaine pour le Bangladesh, les ajustements politiques de la Banque mondiale et d’autres institutions financières internationales pourraient affecter les perspectives de croissance économique du pays.
L’instabilité au Bangladesh exacerbe également les tensions sécuritaires en Asie du Sud. Actuellement, l’Inde a renforcé ses forces autour de la frontière bangladaise et a placé ses unités militaires en état d’alerte élevé. Les Nations Unies, l'Union européenne, les États-Unis et de nombreux autres pays ont également exprimé leur inquiétude face à la situation au Bangladesh.