Le télégramme daté du 7 avril 1975 était signé Văn, le pseudonyme du général Vo Nguyên Giap. Il a été émis du bâtiment D67 dans le secteur de la citadelle de Hanoï où siégeait le quartier général du commandement de la campagne. Ce texte codé a été transmis aux commandants des troupes de libération du Sud. C’est Nguyễn Bá Líu, télégraphiste de la brigade 25, qui a eu l’honneur de l’expédier.  Il avait reçu l’ordre de son chef d’assurer la liaison, de recevoir et de transmettre les télégrammes avec une grande rapidité et une précision absolue. Ce texte a été transmis en morse en l’espace de  15 minutes par le télégraphiste qui n’a réalisé qu’après le 30 avril 1975 qu’il avait expédié un télégramme d’une portée historique :

A ce moment-là, notre seule tâche consistait à assurer la communication en toutes circonstances. Comme il fallait libérer le Sud, tous les messages étaient importants et nous ne savions pas ceux qui étaient encore plus importants.  Plus tard, j’ai réalisé que j’avais moi-même transmis le télégramme du général Vo Nguyên Giap. Je suis fier d’avoir accompli  cette tâche.

Pour le général Khuất Duy Tiến, ancien chef du département des opérations, relevant du corps d’armée numéro 3, ce télégramme était l’ordre d’attaquer et de saisir toutes les opportunités. A réception du télégramme, il a ordonné à  son contingent d’avancer encore plus vite vers Saigon pour la libérer:

Ce télégramme indiquait que le temps était venu pour la résistance nationale anti-américaine et pour le salut national, il fallait agir le plus rapidement possible pour libérer le Sud. Nous avons mobilisé toutes nos forces pour arriver au plus tôt à destination.

Le colonnel Nguyễn Văn Hữu, médecin du corps de troupes de Tây Nguyên, a aussi vu dans ce télégramme un ordre d’attaquer avec précision et énergie. C’était le coup d’amorce pour accélérer la marche vers les bastions de l’ennemi:

J’étais enthousiaste d’avancer pour libérer le Sud car nous venions de libérer Buôn Ma Thuôt. Nous étions prêts à assumer cette tâche. Nous sommes descendus de Buôn Ma Thuôt vers la plaine pour libérer l’aéroport de Phan Rang et poursuivre nos attaques au Sud.

Selon le colonnel Trần Ngọc Long, ancien directeur adjoint de l’Institut d’histoire militaire du Vietnam, après l’opération  du Tây Nguyên, une nouvelle opportunité s’est ouverte. Le bureau politique, le comité central du Parti communiste vietnamien et le permanent du comité du parti pour l’armée ont alors décidé de passer de l’attaque stratégique à l’offensive générale stratégique en écourtant d’un an l’objectif initial qui était de libérer le Sud en deux ans: 1975 et 1976. Après la chute de Tri Thiên-Hué et de Danang, l’armée de la République du Vietnam a subi des revers stratégiques, ouvrant une grande opportunité de libérer le Sud. Le 31 mars 1975, le bureau politique du Parti communiste vietnamien a décidé de lancer l’offensive générale pour libérer le Sud en avril 1975, juste avant la saison des pluies. Ce télégramme constituait l’ordre de saisir les opportunités, d’encercler et d’anéantir les derniers bastions de l’armée de la République du Vietnam. Ecoutons les analyses de Trần Ngọc Long:

Si nous avions raté cette opportunité, l’adversaire aurait eu le temps de se réorganiser et de réajuster son plan de résistance et la guerre se serait prolongée. On sait que la guerre du Vietnam a été internationalisée avec une grande implication des puissances mondiales. Nous avons dû bien saisir cette opportunité pour éviter les difficultés dans la libération totale du Sud au mois d’avril 1975.

L’ordre émis par le général Vo Nguyên Giap au nom du permanent du comité du Parti communiste vietnamien pour l’armée est une décision historique. Il traduit la maturité et la vision stratégique autant du bureau politique et du comité central du Parti communiste vietnamien que du comité du parti pour l’armée. Il a ouvert la voie à la grande victoire du printemps 1975 en libérant le Sud et en réunifiant le pays./.