(VOVworld) - L’histoire commence à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Cette histoire, c’est celle de 20.000 Vietnamiens, recrutés de force pour aller en France remplacer les ouvriers partis au front. Sur place, ils allaient vivre une existence de misère et de maltraitance. Certains allaient revenir au pays natal quelques années plus tard pour se voir eux-même considérés comme des «traîtres». C’est l’histoire de ces travailleurs, de ces forçats, que nous raconte «Cong Binh, la longue nuit indochinoise», un film de Le Lam.
«Les jeunes, bien sûr, mais même les vieux. Mon grand père a été lui aussi recruté de force en 1939. Moi, quand j’avais 7 ans, voyant les autres enfants, autour de moi, se faire choyer par leurs grands-pères, je me suis forcément posé des questions. J’ai demandé à mon père où était papi, et il m’a répondu qu’il était parti en France et qu’il était mort d’une maladie. “Si quelqu’un te demande où est papi, tu dois lui dire qu’il est mort d’une maladie”... Je me souviens qu’il a beaucoup insisté là-dessus.»
C’est le petit-fils d’un certain Le Cao Phan que nous venons d’entendre. La voix étranglée par l’émotion, il raconte aux participants à la table-ronde sur le film «Cong binh - La longue nuit indochinoise» comment il est parti sur les traces de son grand-père, l’un de ces 20.000 forçats indochinois de 1939, qui seraient définitivement tombés dans l’oubli si Le Lam n’avait pas décidé de porter leur histoire sur le grand écran.
«“Cong Binh”, ça veut dire “Ouvrier-soldat”, si on traduit littéralement. Ce qui m’a poussé à faire ce film, c’est la fameuse loi de 2005 sur l’apport positif de la colonisation française, nous dit Le Lam. En 2009, après la sortie de ce livre de Pierre Daum qui s’appelle “Immigrés de force”, je me suis attelé tout de suite à la tâche pour plusieurs raisons, et d’abord parce que cette histoire, moi, je le connaissais déjà. Mais je ne la connaissais qu’en surface. Pour comprendre les dessous de l’affaire, il faut effectuer un vrai travail d’historien. Or, très peu d’historiens ont vraiment eu accès aux documents relatifs à cette histoire. Et ça aussi, ça m’a motivé...»
(Images extraites du film)
«Cong Binh - la longue nuit indochinoise» raconte l’expédition malheureuse de ces travailleurs indochinois vers la France, leur existence pénible, errante... Pour Le Lam, la réalisation de ce film a été une course contre le temps. Plus de 70 ans ont passé, les derniers témoins de cette histoire sont maintenant tous nonagénaires. Parmi les vingt travailleurs que le réalisateur a rencontrés, six sont morts durant ou après le tournage.
«J’ai tourné environ 120 heures de film, or mon film ne dure que deux heures. Mais je ne pouvais pas me permettre d’occulter un seul de tous ces témoignages, car avec les décès de ces gens-là, c’est tout un pan de l’histoire vietnamienne qui va disparaître.»
Sans amertume, mais très souvent avec une pointe d’ironie, les anciens travailleurs racontent ce qu’a été leur vie pénible en France. La dureté du labeur dans les salines, la fierté d’être les pionniers de la culture du riz en Camargue, la lutte pour l’indépendance de leur pays natal. Et, la mort...
«Depuis un an et demi, pour réaliser le dernier voeu de mon père défunt et mes oncles, je me suis lancé dans la recherche de mon grand-père, nous confie le petit-fils de Le Cao Phan. J’ai beaucoup étudié l’histoire de ces travailleurs indochinois, tant et si bien que leurs noms me sont devenus familiers. Mon grand-père avait dix enfants déjà quand il a été forcé d’aller en France pour travailler à Marseille. Il est mort et enterré en France. Depuis que j’ai trouvé le cimetière où il repose, je l’observe chaque semaine sur Google Maps, et je me demande s’il ne voudrait pas que ses restes soient ramenés au pays natal...»
«Lors d’une projection de mon film, j’ai rencontré une dame d’une soixantaine d’année, une métisse, raconte Le Lam. Elle m’a dit qu’elle avait regardé mon film à trois reprises. Elle m’a raconté qu’elle avait été fille d’un Cong Binh sans le savoir. Elle est née en 1952, de père Vietnamien. Mais comme elle est née en France, elle s’est toujours cru française. Sauf qu’à quatre-cinq ans, à l’école maternelle, ses petits camarades la traitaient d’annamite, de sale chinetoque... Elle a alors demandé à son père pourquoi elle était différente. Et son père a été incapable de lui répondre, de lui expliquer pourquoi il se retrouvait en France. La dame m’a dit que grâce à mon film, elle a pu comprendre l’histoire de son père, et qu’à son tour, elle pourrait désormais expliquer à sa petite-fille l’origine de ses yeux bridés.»
Le réalisateur Le Lam. Photo: àvoiràlire
Sous couvert de l’anonymat durant le film, les anciens travailleurs réapparaissent à la fin du film, avec leur matricule au lieu de leur nom: la lettre Z, puis deux à trois lettres suivies de un à quatre chiffre(s), pour indiquer le lieu où ils ont été recrutés. Ces travailleurs, arrachés à leur famille, à leur patrie, privés de tous les droits, ont vécu toute une vie dans le silence et dans l’oubli. "Cong Binh la longue nuit indochinoise" leur apporte une reconnaissance tardive, certes, mais une reconnaissance tout de même.