(VOVWORLD) - Nguyen Xuan Thu, 85 ans, est un senior dans le milieu francophone vietnamien.
Il a appris le français à l’âge de 5 ans… et cette langue ne l’a plus quitté
depuis. Indispensable dans son travail de pharmacien, le français lui a aussi
ouvert d’autres horizons. En 2013, Nguyen Xuan Thu a en effet été admis à
l’Académie d’esperanto, l’institution internationale dont le rôle est de
veiller et de conserver les principes fondamentaux de l’esperanto ainsi que de
contrôler son évolution. Thu Huong l’a rencontré.
M.Nguyen Xuan Thu,
bonjour.
Bonjour.
Comment allez-vous ?
Je vais assez
bien pour un homme de mon âge. A 85 ans, on n’est plus jeune, plus alerte, on
reste plutôt couché ou assis pendant une demi-heure seulement. J’évolue dans
cet espace au rez-de-chaussée alors qu’avant, quand ma femme était encore
vivante, nous habitions le premier étage. Mais même si elle était encore
vivante, on devrait descendre au rez-de-chaussée, parce que monter les étages
pour des gens de cet âge, c’est difficile.
Comment avez-vous appris le français ?
J’ai appris le
français dans une école française à l’âge de 5 ans. Mes parents m’ont envoyé à
l’école. Pendant les trois premiers mois, je ne comprenais rien. Mais après
trois mois, je me suis aperçu que je parlais français un peu comme les petits
garçons français, naturellement. Personne ne traduisait pour moi mais à la fin
de l’année scolaire, je me sentais comme eux… J’ai continué comme ça jusqu’au
baccalauréat. Lorsque j’étais au lycée Albert Sarraut, je n’utilisais jamais de
dictionnaire franco-vietnamien, seulement le Larousse…
Avez-vous appris l’histoire et la littérature
vietnamiennes ?
C’est mon point
faible. A l’école française, on n’étudiait pas ces matières. Je devais lire
chez moi. Je dois vous dire que j’ai du apprendre par moi-même le quoc ngu que
je n’avais jamais étudié à l’école.
Le quoc ngu, c’est l’écriture romanisée de la
langue vietnamienne.
Je n’ai jamais
appris le quoc ngu à l’école, je l’ai déchiffré à la maison grâce aux lettres
latines que j’avais apprises à l’école. C’est comme ça que j’ai pu commencer à
lire des journaux vietnamiens.
Mais l’apprentissage du français et l’éducation
française vous ont été bien utiles dans votre vie professionnelle plus tard?
J’ai été pharmacien
galénique, c'est-à-dire que je me suis occupé de la fabrication de médicaments.
Pour fabriquer des médicaments à la manière moderne, je devais lire des
documents en français.
Et c’est grâce en partie à la langue française que
vous avez rencontré la femme de votre vie, Mme Thu The, une voix connue de tous
les Vietnamiens au cours des années 1970-1980. C’était elle qui traduisait et
doublait tous les films français qu’on montrait à la télévision de l’époque.
Comment l’avez-vous rencontrée ?
Dans le temps, la
Fédération de la jeunesse démocratique, une organisation internationale de pays
socialistes, distribuait un bulletin à tous ses membres. J’y ai fait une
annonce disant que je collectionnais des timbres-poste et que je serais heureux
de rencontrer des gens ayant le même goût. Thu The a répondu en français
qu’elle aimerait échanger des timbres avec moi. Nous avons correspondu pendant
plusieurs mois, vivant à Hanoï sans se voir. Un jour, j’ai formulé mon désir.
« C’est vraiment idiot que des gens vivant dans la même ville ne se voient
pas ». Je l’ai invitée à venir chez moi. Elle est venue et nous nous
sommes rencontrés.
Vous parlez français, anglais, espagnol… Mais on
vous connaît surtout comme ayant été le secrétaire général de la Société
d’esperanto du Vietnam de 2004 à 2010. En 2013, vous avez été élu à l’Académie
d’esperanto. Vous êtes le seul Vietnamien à être membre de cette
académie ?
Non, j’ai eu un
prédécesseur, le poète Dao Anh Kha, membre de cette académie et Nguyen Minh
Kinh, membre honoraire. Mais ils sont tous morts.
Après vous, il y a eu un autre Vietnamien membre
de cette académie ?
Je ne pense pas
que de mon vivant, il puisse y avoir une autre personne. J’ai l’ambition de
voir, dans deux ou trois décennies, mon élève. Mais il lui faudra de la
maturité et prouver ses capacités. Elle vient de Ninh Binh. Elle s’appelle
Hoan. Son prénom espérantiste est Joyo, la joie. Elle est issue d’une famille
de paysans… Je l’ai choisie pour continuer ce que j’ai fait et ce que j’ai
l’intention de faire mais que, vu mon âge et ma santé, je ne pourrai pas faire.
Elle a au moins 50 ans de moins que moi. Je peux la considérer comme ma
petite-fille. Ce dont elle a le plus peur, c’est que je meure avant qu’elle
n’ait assimilé tout ce que je voulais lui transmettre.
Votre dictionnaire esperanto-vietnamien est sorti
l’année dernière. Pourriez-vous nous parler un peu de cet ouvrage ?
Ça m’a pris 16
ans pour achever ce dictionnaire. Comme je ne suis pas lexicologue, seulement
amateur, c’est simplement en tâtonnant, que finalement, j’ai pu l’achever.
D’autres collaborateurs sont morts ou ont abandonné à mi-chemin. C’est grâce à
l’aide de mon élève, Joyo, que nous avons pu réaliser cette œuvre… Il y aura
une conférence sur l’esperanto des pays asiatiques, de l’ASEAN et de
l’Australie qui se tiendra à Danang en 2020, mais ne je pourrai pas participer parce que je ne peux pas me
déplacer seul. Et puis je ne sais pas si je vivrai jusque là !
Espérons-le. La langue que vous aimez, l’esperanto,
c’est la langue de l’espérance !
Merci.