(VOVworld) - Après le référendum du 23 juin dernier sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne, plus que jamais, le monde s’interroge sur la solidité de l’Union européenne. Où va cette institution? L’ambassadeur de l’Union européenne au Vietnam, Bruno Angelet, a tenté d’apporter une réponse à cette question qu’il a d’ailleurs reformulée en «Qu’est-ce que l’Europe?».
|
L’ambassadeur de l’Union européenne au Vietnam Bruno Angelet (à droite)
Photo: Bao Cong thuong |
«Imaginons une seconde que nous sommes ensemble dans un grand immeuble. Il s’agit d’une construction inachevée, d’une architecture complexe… On n’est pas sûr du plan, il semblerait que pour l’instant il n’y ait pas encore de toit, ni de fenêtre, que la porte d’entrée ne soit pas encore fixée, qu’il n’y ait pas de sortie de secours… Mais voilà, nous tous, ce soir, nous sommes dans cet immeuble. Et comme cela arrive souvent au Vietnam, un terrible typhon s’abat sur cet immeuble. L’immeuble se met à subir des secousses, un enfant est pris de panique et se met à crier ‘Maman, on va tous mourir!’. Il y a aussi certains, désespérés, qui cherchent la sortie de secours qu’ils ne trouvent pas, et qui sortent par la fenêtre...»
C’est avec cette comparaison que l’ambassadeur de l’Union européenne au Vietnam Bruno Angelet a commencé sa conférence intitulée «Qu’est-ce que l’Europe?», conférence tenue janvier à l’Institut français de Hanoi. L’immeuble en question est bien entendu, le Vieux continent, qui a dû subir deux terribles typhons: la crise financière, en 2007, et plus récemment la crise migratoire.
«Le bon réflexe des parents dans cet immeuble est de minimiser les dégâts, et une fois que le typhon est passé, ils se posent les vraies questions: Est-ce que cet immeuble est bien bâti? Comment sont les fondations de cet immeuble? Quels étaient le plan, les conceptions des architectes, des ingénieurs? Peut-être après on va vérifier la qualité des matériaux… et parler aussi aux gérants de cet immeuble.»
Bruno Angelet a donc invité son auditoire à faire un retour dans l’histoire pour réexaminer les fondations de cet immeuble «Europe», en commençant par s’interroger sur l’origine de son nom.
«Les Grecs nous ont donné une identité européenne sous la forme d’une personne mythologique qui s’appelle ‘Europe’. Homère, dans l’Iliade, explique qu’un jour, une belle princesse phénicienne du nom d’‘Europe’ joue sur la plage avec ses copines quand soudain surgit de la mer un énorme taureau. Europe prend le risque de se mettre sur le dos du taureau. Aussitôt, celui-ci prend la fuite avec elle. Il traverse la mer jusqu’à ce qu’il arrive sur l’île de Crète. Le taureau qui est en fait Zeus prend Europe pour femme et puis la cède au roi de Crète. Le roi et la reine de Crète auront beaucoup de fils, et ces derniers vont conquérir la mer Méditerranée, ils vont installer des villes grecques. La Crète sera donc un peu le berceau de la civilisation grecque, et c’est bien là, la première idéo-notion que nous avons de l’Europe.»
Selon Bruno Angelet, il y avait déjà une grande unité politique sur le continent européen à l’époque de l’empire romain. Mais l’empire romain n’était pas l’Europe telle que nous la connaissons aujourd’hui, il était beaucoup plus large. En 395, il a été divisé en deux parties: l'Empire romain occidental et l'Empire romain oriental. Cette division est très importante puisqu’elle définira la géographie et les frontières politiques de l’Europe. Dans l’immédiat, après l’effondrement de l’empire romain, Charlemagne constitue un ensemble territorial par la force.
25’30 «Charlemagne constitue plus ou moins l’avenir de l’Europe d’un point de vue territorial. L’Europe est définitivement coupé de la Méditerranée, mais Charlemagne, comme les élites de cette époque, rêve de rétablir l’unité et l’empire romain. L’Eglise veut recréer un empire romain chrétien, Charlemagne se voit en continuateur de Rome, et une alliance entre l’empire et l’église, intégration politique et extension chrétienne se construit. Le latin devient langue officielle.»
Outre l’unité politique, l’unité culturelle est ainsi une autre fondation de l’immeuble «Europe». La civilisation européenne, une main invisible qui harmoniserait les styles artistiques, littéraires, les traditions vestimentaire, gastronomique, l’architecture…
«Unité culturelle, une civilisation européenne commune, avant que l’on puisse parler de culture nationale… Dans l’ensemble de l’Europe il y a une si grande unité commune : littérature, musique, peinture et tradition vestimentaire. Vous avez la cathédrale Notre-Dame-de-l'Assomption de Budavár en style gothique. La première église gothique que l’on a connue est en Italie, ensuite la basilique Saint-Denis à Paris au 12ème siècle. Les premières universités étaient en France, en Italie, mais aussi à Prague. Nous pensons tous que le baroque est italien, espagnol au départ mais en fait, le baroque se trouve un peu partout en Europe. Les tableaux des peintres du 15ème, 16ème siècles, que ceux soient de la France, des Pays-Bas, de l’Espagne, de l’Allemagne… c’est du même style.»
«La République des lettres», une idée développée par les humanistes du 15ème, 16ème siècle, constitue aussi une partie de l’unité culturelle européenne. Le fait que le continent européen utilise une langue commune, le latin, ouvre aux échanges d’idées.
«Voltaire a écrit dans un petit texte en 1751, que l’Europe était une grande République. Dans la cage où on trouve les choses solides, on passe au premier étage, celui du 17ème siècle, et nous constatons qu’il y a quand même eu une terrible époque de guerre et de massacre en Europe avec des millions de citoyens européens assassinés. Le premier étage est complètement morcelé. Comment se trouve-t-il dans l’immeuble européen que nous visitons? Il y a eu de profondes divisions religieuses et politiques de l’Europe qui ont commencé par un soulèvement populaire contre l’église catholique.»
Au 17ème siècle, l’Europe est déchirée en plusieurs Etats. Le latin n’est plus la langue commune, progressivement les langues nationales émergent. Les guerres de religion puis entre Etats provoquent des changements.
55’«L’idée de l’Union européenne, l’expression, le terme ‘Union européenne’ date du 18ème siècle. D’abord il y a des penseurs qui pensent que l’on peut encore intégrer l’Europe par la religion. Il y a des gens qui disent ‘non, on doit trouver une autre tradition’, c’est la tradition humaniste. Plus tard, après la Première guerre mondiale au 20ème siècle, les hommes politiques vont se saisir de cette idée, et essayer de la réaliser par les institutions.»
La France propose, en 1931, un mémorandum sur l’organisation d’une union fédérale européenne. Mais avec l’arrivée du nazisme, c’en est fini des idées pacifistes et des grandes visions de l’Europe.
1506 «L’Union européenne, c’est d’abord une communauté économique qui a l’ambition de devenir une communauté politique. Le ministre français des Affaires étrangères Robert Schumann va faire en 1950 une proposition révolutionnaire qui dit en fait que l’industrie du charbon et de l’acier de l’Allemagne et de la France peuvent être placées sous l’autorité d’une institution supranationale. Il s’agit de la première étape d’une fédération européenne.»
Après le charbon et l’acier, une véritable communauté économique se constitue. Viennent ensuite un marché intérieur, une politique étrangère commune, la création de l’euro, des opérations militaires et civiles de gestion de crise, l’élargissement de l’union… L’immeuble européen s’agrandit. A l’heure actuelle, alors qu’il se trouve face à de nombreux dégâts causés par les deux crises presque consécutives, nul ne saurait prédire son avenir, mais selon Bruno Angelet, les fondations restent solides…