(VOVworld) - Mahamat Saleh Haroun est un réalisateur tchadien célèbre qui vit en France depuis 1982. A l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie, l’un de ses films, « Un homme qui crie », sera projeté ce soir à l’IDECAF - Institut d’échange culturel avec la France, à Ho Chi Minh-ville. Ce film a reçu trois prix prestigieux « Festival de Cannes 2010, Festival du film francophone d’Angoulême 2010 et Prix Lumière 2011 ». Mahamat Saleh Haroun dévoile d’abord le contexte de la naissance du film.
Mahamat Saleh Haroun : Le contexte, c’est vraiment cette guerre qui est omniprésente au Tchad qui dure depuis 1963, avec un pic en 2006 ; j’étais en train de tourner mon précédent film. C’était le 13 avril 2006, les rebelles étaient entrés en ville. Le matin, il y avait eu un conflit qui avait duré peut-être 5 ou 6 heures. Il y avait eu 300 morts dans la ville ; ça veut dire 6 morts par minute ! En 2008, j’étais en train de tourner un cout-métrage et là aussi, les rebelles sont entrés dans la ville ; c’était au mois février. On a été obligé de fuir. Tout ça m’a marqué et c’est comme ça que j’ai décidé de décrire une histoire autour de cette tragédie qui fait que la jeunesse, à chaque fois, paie de sa chair et de son sang. Les adultes, les pères, les oncles se maintiennent et restent au pouvoir.
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Réalisateur Mahamat Saleh Haroun |
VOV5 : Bien que la guerre occupe un espace « mental » omniprésent, ses images ne sont pas présentes dans le film. Pourquoi ?
Mahamat Saleh Haroun : Pour faire un film de guerre ou sur la guerre à un moment, il faut aussi apporter quelque chose et je voulais ajouter le point de vue des victimes, des gens qui subissent cette guerre-là ; ces gens qui subissent la guerre, qui ne la voient pas, qui sont chez eux. Les bombes tombent chez eux, ils meurent. C’est comme aujourd’hui en Syrie, la population manifeste ; ils ne voient pas les chars, les bombes. C’est ça que je voulais prendre comme point de vue. Et puis, cette guerre-là, elle se fait entre les tchadiens qui veulent prendre le pouvoir et montrer en fait des tchadiens qui s’entretuent. La guerre, c’est toujours quelqu’un qui tue quelqu’un d’autre et c’est un héros. Moi, je ne voulais pas montrer un tchadien héroïque parce qu’il tue un autre tchadien. Donc, voilà pourquoi j’ai supprimé complètement les images de la guerre dans mon film.
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Poster du film |
VOV5 : Vous êtes rescapé vous-même de la guerre civile au Tchad. Est-ce que le film est une sorte d’autobiographie ?
Mahamat Saleh Haroun : Vous savez, tous mes films sont un peu inspirés de ma mémoire. En fait, tous les créateurs, tous les artistes, vont puiser dans leur mémoire pour raconter un peu des histoires. Donc, il y a des choses qui ressemblent à ce que j’ai vécu. Un père qui recherche son fils sur un fauteuil roulant... ça m’a rappelé comment mon père m’avait sauvé : il m’avait mis dans une brouette parce que j’étais blessé et j’avais eu une balle perdue. Je ne pouvais plus marcher. Il m’avait mis dans une brouette et on avait couru dans toute la ville pour traverser le fleuve et se réfugier au Cameroun. Quand vous avez vécu et vous avez subi la guerre, vous n’oubliez pas. J’ai vu des hommes qui sont morts et des femmes qui sont mortes. J’ai vu des gens exécutés devant moi. Vous ne pouvez pas oubliez facilement. Le cinéma, quelque part, me permet aussi de me soigner par rapport à cette hantisme, par rapport à ce fantôme qui me hante en permanence.
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Youssouf Djaoro (gauche) et Diouc Koma (droit) pour « Un homme qui crie » |
VOV5 : Vous avez confié Adam - le rôle principal - à Youssouf Djaoro. Pourquoi ce choix ?
Mahamat Saleh Haroun : Youssouf Djaoro, c’est un comédien extraordinaire. Moi, j’aime bien ce comédien qui est physique, sensuel, qui a une manière de bouger dans l’espace qui est vraiment formidable et unique et ce n’est pas un comédien professionnel, c’est-à-dire qu’il n’est pas allé dans une école, il n’a pas de technique, il est instinctif et spontané et il arrive à me rendre un peu parce que je lui demande avec beaucoup d’intelligence et de nuance ; c’est pour ça que j’ai travaillé avec lui. C’est vrai qu’il avait déjà joué dans mon précédent film « Daratt » et là, dans ce film, il joue totalement autre chose et les gens qui ont vu les deux films ne le reconnaissent pas. C’est quelqu’un qui n’a pas été dans une école, mais il a une palette extraordinaire, il n’a pas qu’un seul registre, il peut jouer différents registres. Et pour ce film-là, il a gagné plusieurs prix d’interprétation dont un aux États-Unis. Je suis très content de lui avoir confié le rôle parce que je trouve qu’il s’en sort très bien.
VOV5 : Le tournage s’est effectué au Tchad. Y-a-t-il des souvenirs remarquables et des difficultés ?
Mahamat Saleh Haroun : Le tournage s’est passé au Tchad en fin 2009. La difficulté, c’était d’essayer d’avoir des chars de l’armée. Par exemple, dans une scène qui se passe simplement dans la rue, on a essayé d’avoir des chars de l’armée. Mais c’était très difficile : il a fallu passer par l’Etat Major, par le Ministère de la Défense... Finalement, on n’a pas pu. Et le problème aussi, c’était les coupures d’eau. Les techniciens ne pouvaient pas se laver ; les coupures d’électricité, c’est souvent aussi. Ça, ce sont les difficultés qu’on a rencontrées mais à part ça, tout s’est fait dans l’enthousiasme. Et je garde un très bon souvenir de ces repas qu’on a pris dans le désert... en pleine nuit sous les étoiles, c’était extraordinaire.
VOV5 : Vos projets ?
Mahamat Saleh Haroun : J’ai un projet de long-métrage. C’est un long-métrage qui doit se passer au Tchad, c’est l’histoire d’un danseur, il est handicapé d’une jambe. A un moment donné, il tombe dans le trafic d’essence parce qu’il y a beaucoup de trafic entre le Tchad et le Nigéria qui produit du pétrole. C’est un peu léger... avec une histoire d’amour assez forte entre une jeune prostituée et ce danseur-là.
Duc Quy