(VOVworld) - Qui dit luxe dit produit très travaillé, très soigné, mais aussi - et on peut le regretter - très occidentalisé. Après avoir passé des années à faire venir des produits de l’étranger, la société Openasia a décidé de relever le gant et d’envoyer à l’étranger des produits vietnamiens. C’est ainsi qu’Hanoia a vu le jour. Christian de Ruty, qui en est le responsable, revient pour nous sur la genèse de ce projet de mise en valeur artisanale.
Photos : Hanoia
Christian de Ruty : Personnellement ça fait plus que vingt ans que je suis vais régulièrement au Vietnam. L’une des choses les plus remarquables dans ce pays, à part la gentillesse et l’intelligence des Vietnamiens, c’est l’artisanat. L’artisanat est toujours fascinant pour nous. Quand je dis « nous », c’est mes partenaires, et moi-même. Et d’une certaine manière, c’est ce qui nous rapproche le plus entre la France et le Vietnam, parce que la France est un pays d’artisanat. On a une sensibilité très artistique assez connue, mais très artisanale aussi, qui est exprimée dans les marques de luxe, mais qui se trouve aussi dans les provinces et campagnes, partout en France. Et quand on voit ça au Vietnam, ça nous amène à nous dire que c’est une richesse, qui est assez mal exploitée. Alors qu’est-ce qu’on peut faire avec l’artisanat vietnamien, en lui donnant une consistance contemporaine et moderne, tout en restant en lien avec la culture vietnamienne, mais qui puisse être intemporel, qui puisse être dans n’importe quel appartement, être porté sur n’importe quel corps, sans que ce soit forcément noté comme ethnique. Donc l’idée c’est de développer un artisanat de très haut niveau, et d’en faire des collections, avec des gens qui viennent de l’étranger et les artisans vietnamiens.
VOVworld : Alors pourquoi « Hanoia » ? Quelle est la signification de ce mot ?
Christian de Ruty : Je crois que dans l’inconscient collectif, ce qui est un peu le symbole pour nous, c’est l’Hanoïenne, la femme hanoïenne, la femme jolie, raffinée, habillée simplement, mais qui a des valeurs extrêmement forte. Et donc, le « a » ajouté à « Hanoi » est l’expression de la féminité. L’autre chose, c’est que ce « a » en vietnamien se dit « à », c’est une marque de surprise, d’impression, d’étonnement, qui montre que la marque est quelque chose de surprenant dans le décor classique. L’autre chose, la dernière, c’est que notre société Openasia se termine en « a ». Donc c’est un lien entre la société avec cette nouvelle marque qu’on cherche à lancer.
VOVworld : Comment avez-vous établi une collaboration avec les artisans ?
Christian de Ruty : Alors l’idée, pour nous, c’est qu’il faut être sincère. Ce qui nous a immédiatement mobilisés sur le projet, c’est que, si on fait de l’artisanat, il faut le faire de façon ancestrale. Il faut aller rechercher la source de l’artisanat. Or, dans ce pays, une des particularités très fortes, c’est que tous les artisanats sont concentrés dans des villages. Alors on est allé dans des villages de laque, parce que notre produit prioritaire, c’est la laque d’excellence, qu’on appelle la haute laque. Quand ils nous ont vu arriver, les artisans laqueurs n’ont pas cru que nous étions sérieux et donc ça nous a pris un certain temps de convaincre les autorités de la ville que nous voulions faire quelque chose d’exceptionnel, que nous voulions rassembler les artisans parmi les meilleurs et que nous leur donnerions évidemment des qualités d’environnement de travail extrêmement bonnes… On a mis des annonces dans les villages, au début il n’y avait personne, et progressivement on y est arrivé. Aujourd’hui on a un peu plus de trois cents laqueurs dans les deux villages, puisque nous avons deux ateliers, l’un dans le Sud, à Binh Duong, et dans le Nord, c’est à Ha Tay. Voilà, on est petit à petit arrivé à avoir la confiance des laqueurs. Et nous sommes aujourd’hui très heureux, puisque certains d’entre eux nous écrivent des poèmes dans les fêtes que nous organisons, pour dire à quel point ils sont fiers de faire des petits produits avec leurs mains, qui s’envolent dans tous les pays du monde, et ça leur paraît un résultat exceptionnel par rapport à ce qu’ils avaient connu jusqu’à présent.
VOVworld : C’est votre idée initiale, de développer la laque ?
Christian de Ruty : Dans le monde il n’y a que trois pays de laque : le Vietnam, le Myanmar, et le Japon. Mais en fait il y en a la quatrième, c’est la France. La France, depuis le 18ème siècle, a une tradition très forte de laque grâce aux frères Martins. Et donc c’est pour ça, cette connaissance de la laque française et cette proximité avec cet artisanat extrêmement vietnamien et très asiatique qui a immédiatement créé le lien. Nous avons d’autres artisanats en commun, la vannerie par exemple, nous aurions pu commencer par la vannerie, mais on a commencé par la laque, parce que c’est un produit qui exprime des couleurs, dans lequel on peut travailler sur énormément de choses. Alors l’idée c’est de développer une création exceptionnelle, différente de tout ce qu’on trouve, sur un produit où il y a beaucoup de possibilités.
VOVworld : Vous vous lancez même dans la mode, avec le tissu Lanh My A…
Christian de Ruty : Lanh My A, c’est un projet exceptionnel. Lorsqu’une femme voit ce tissu, elle est immédiatement attirée. C’est comme de la soie laquée. Il y a deux faces, une face brillante, et une face matte. La femme peut jouer avec les deux côtés, et le designer aussi. C’est un processus exceptionnel qui dure quatre mois, qui consiste à ajouter des couches et des couches. En plus il est magnifique parce qu’il se déroule la nuit, en fonction de la lune. C’est un tissu prestigieux avec une histoire prestigieuse pour un produit qui n’existe nulle part au monde aujourd’hui. Ça fait des années que nous avons acheté des stocks, et nous développons les produits à travers la marque Hanoia. Nous avons invité Nguyen Cong Tri, un jeune designer brillant, à créer une collection pour sa propre marque, mais dans laquelle nous avons puisé nos dix modèles de robes pour des femmes sophistiquées. Et nous avons une designer en interne extrêmement raffinée aussi, qui est vietnamienne formée au Etats-Unis et qui nous a aidé à créer toute une collection. Donc c’est vraiment une grand plaisir d’allier la laque, à travers des produits, des objets, des bijoux et avoir une collection textile.
VOVworld : Vous organisez aussi des manifestations culturelles.
Christian de Ruty : On est en relation avec beaucoup de gens, beaucoup d’experts qui sont très imprégnés de culture vietnamienne dans son sens le plus large. Et donc nous organisons régulièrement des présentations dans différents endroits, et maintenant dans notre boutique. On a organisé un défilé de mode, une exposition sur tous les artisanats qui sont autour de Hanoia,… et nous organisons régulièrement à la boutique phare de Hanoia au 38 Hang Dao des conférences avec des gens qui ont une expertise sur un domaine de la culture.
VOVworld : Qu’est-ce que vous tentez de faire avec cet espace culturel, au 38 Hang Dao ?
Christian de Ruty : On veut créer un rendez-vous, avec les gens qui ont envie de garder vivante cette culture vietnamienne, cette tradition vietnamienne, et de faire ressurgir pour la public qui est intéressé dans la racine de la culture vietnamienne, et c’est ça qui nous motive, c’est de faire de ce centre un centre d’échange entre des gens qui partagent cet intérêt. L’autre chose qu’on souhaite faire, c’est de créer dans ce centre des présentations de laque, sur comment se fait la laque, pas simplement pour regarder mais aussi pour faire, et on aimerait un peu refaire vivre la laque pour que les gens comprennent ce que c’est que le principe de la laque.