(VOVworld) - De juin 1981 à juin 1983, alors directeur du bureau de l’Agence France Presse à Hanoi, Michel Blanchard était l’un des rares correspondants de presse étrangers au Vietnam, ce qui lui a donné l’occasion de parcourir, mais surtout de photographier notre pays de long en large. A cette époque, il n’imaginait évidemment pas que ses photos allaient prendre de la valeur et que trente ans plus tard, elles allaient devenir de véritables documents historiques : rares témoignages de cette période méconnue qu’ont été les années de l’après-guerre, au Vietnam.
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Michel Blanchard
Photo: Nhan dan |
«Je tiens à vous remercier car vos photos permettent aux jeunes de comprendre ce que leurs parents et grands-parents ont vécu pour leur permettre de mener l’existence qu’ils mènent actuellement. Et puis je vous suis d’autant plus reconnaissante que même si j’ai moi-même vécu cette époque, je n’aurais jamais pu faire de photos, faute de posséder un appareil.
«Vous nous donnez l’occasion de revivre toute une époque. Je fais moi-même partie de ces enfants nés dans les années 80... qui montaient sur les trams, qui recueillaient chaque goutte d’eau et qui apprenaient leurs leçons avec presque pas de lumière…»
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Photos: Bao Moi |
Pour les Vietnamiens nés après le Renouveau, l’époque des «tickets de rationnement» relèverait presque de l’épopée. Il y a bien quelques rares photos noir et blanc… Parfois, les langues se délient et ceux qui ont vécu cette époque de dénuement se laissent aller à quelques confidences, mais là, des photos en couleurs ! C’était inespéré… Quant à Michel Blanchard, qui était donc l’un des rares «Tay» présents à cette époque, le Vietnam des années 80 était un pays captivant, émouvant où beauté rimait étrangement avec pauvreté…
«Ce qui m’a frappé le plus, c’est la beauté de Hanoi et en même temps, sa pauvreté. Tous les bâtiments étaient beaux mais abîmés, pas entretenus. Les gens étaient habillés avec des vêtements très simples, on voyait qu’il y avait une pauvreté réelle, que le pays sortait de la guerre. Le quotidien était très difficile pour la population vietnamienne. Pas beaucoup d’argent, des tickets de rationnement pour les magasins d’Etat, mais avec peu de choses dedans : du riz... mais souvent pas assez. Alors ceux qui avaient un petit peu d’argent, ils allaient au marché noir. Il y avait souvent des pannes d’électricité, pas assez d’eau. Les gens vivaient dans de petites maisons ; ils vivaient à quatre familles, une par pièce, avec donc beaucoup de promiscuité. Pas d’argent pour les vêtements et puis parfois, pas de vêtements du tout même... En hiver, il faisait très froid et il n’y avait pas de chauffage, les gens mettaient plusieurs vêtements, trois ou quatre chemises, les unes sur les autres pour avoir chaud. Mais tout le monde était plus ou moins égal, c’est ça qui était bien. Il n’y avait pas de très riche, très pauvre, tout le monde était relativement pauvre.»
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Alors âgé de 31 ans, Michel Blanchard a débarqué à Hanoi, sans avoir «tellement d’idées établies». Ce poste de correspondant du bureau de l’Agence France Presse dans la capitale vietnamienne, considéré comme difficile par beaucoup de ses collègues, a été une chance exceptionnelle pour lui, qui a donc eu le privilège de voir de ses propres yeux comment un pays qui venait de sortir de la guerre pouvait s’en sortir. Photographe amateur depuis son adolescence, il s’en est donné à cœur joie durant ses deux années vietnamiennes. C’est ainsi qu’il a pu capturer des milliers d’instantanés de la vie quotidienne du Vietnam de cette époque. Ce sont ces clichés qui sont actuellement rassemblés à l’Espace pour une exposition exceptionnelle.
«J’ai volontairement choisi des photos qui ne sont pas des cartes postales, pas des belles photos qui donnent une image classique, conventionnelle du Vietnam: quelqu’un avec le chapeau conique, le pont sur le lac Hoan Kiem… J’ai aussi des photos qui donnent de belles images du Vietnam, de beaux portraits, mais j’ai choisi des photos qui, à mon avis, ont un sens, qui disent quelque chose du Vietnam, d’une certaine époque, qui effectivement aujourd’hui n’existe plus beaucoup. Ce n’est pas par nostalgie, c’est juste pour dire qu’à cette époque, c’était comme ça. Il y a même des photos qui ne sont pas belles. Mais elles montrent par exemple, un bâtiment qui a été détruit, qui n’existe plus. Donc ça veut dire quelque chose.»
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Michel Blanchard a pris des photos comme reporter, sans vraiment s’attarder sur des questions de cadrage, de luminosité… Il s’agissait juste de capter l’instant. Les sujets sont variés: une séance de ca tru, un enfant du voisinage... Autant d’images qui auraient pu être tout à fait banales il y a une trentaine d’années, mais auxquelles le développement fulgurant qu’a connu le pays a donné beaucoup de rides.
«Beaucoup, beaucoup de changements !... Au début, ça a changé tout doucement. Au début du Doi Moi, c’était doucement, mais ça allait de plus en plus vite. Surtout, il y a eu le développement du commerce privé, l’ouverture partout de boutiques, de petits commerces... Par exemple, la rue où j’habitais, la rue Phung Khac Khoan est devenue une rue de tissus, alors que quand j’y habitais il n’y avait pas de travail, les gens n’avaient rien à faire. Il n’y avait pas de commerce. Et puis des dernières années, j’ai vu l’apparition de la richesse, avec des boutiques de luxe, des voitures de luxe, des nouveaux riches…»
Michel Blanchard n’a jamais vraiment quitté le Vietnam. Après avoir terminé son mandat de correspondant de l’AFP, il est revenu régulièrement, revoir son ancienne maison rue Phung Khac Khoan, rendre visite à ses anciens amis et voisins et rédiger plusieurs guides de voyage pour tous ceux qui souhaitaient visiter le pays qui lui tenait et qui lui tient toujours tant à cœur…