(VOVworld) - Romancier, nouvelliste, dramaturge, cinéaste… Eric-Emmanuel Schmidtt est certainement l’un des auteurs les plus lus de la France contemporaine, et même du monde entier. Entre la littérature, le théâtre et la philosophie, il a tout choisi et donne à chacune de ses œuvres une dimension particulière. Le réalisateur d’«Oscar et la dame rose » revient pour nous sur ce qui l’a amené à l’écriture.
Photos : eric-emmanuel-schmitt.com
Eric-Emmanuel Schmitt : J’ai commencé à écrire pour le théâtre parce que je crois que j’ai commencé à aimer l’art et la littérature au théâtre. Lorsque j’avais 10-11 ans, on m’a emmené pour la première fois au théâtre, c’était pour voir « Cyrano de Bergerac », la pièce d’Edmond Rostand, et c’était joué par Jean Marais. J’ai été bouleversé par ma première fois au théâtre. J’ai compris que cette première fois ne serait pas la dernière. Parce que j’étais dans un monde où tout d’un coup, tout le monde parlait bien, où on pouvait changer de lieu et de temps en quelques secondes, dans un endroit où le mort se relevait à la fin pour saluer le public, j’étais dans un endroit ludique, où tout était possible. Et surtout j’étais dans un endroit, où pour la première fois de ma vie, j’ai pleuré des larmes altruistes, des larmes philanthropiques. C’était ma première expérience de compassion, au fond, ma première expérience humaniste… Et à la fin, lorsque la lumière revient, je me rends compte qu’il y a huit cents adultes autour de moi qui ont aussi les yeux rouges et le nez rouge. Et je me dis «mais c’est incroyable cet endroit!». Je suis sorti et ma mère me dit «Alors tu as aimé?», je dis «Oui, oui, j’ai adoré, je veux faire ça plus tard», «Je veux être le monsieur qui fait pleurer tout le monde». Elle me dit «Ah bon ? Tu veux être acteur comme Jean Marais?». Et moi je regarde l’affiche du théâtre et je dis «Non je veux être Edmond Rostand».
VOVworld : Avant la nuit au Sahara que vous avez racontée dans «La nuit de feu», vous n’étiez pas du tout un chercheur de Dieu ?
Eric-Emmanuel Schmitt : Je suis né athé dans une famille athée, et j’ai reçu une instruction athée. J’étais un athé tout à fait satisfait, pas du tout un athé en souffrance et à la recherche de Dieu. Et après il y a eu toute une série de hasard qui m’ont poussé dans le désert. Est-ce le hasard, ou est-ce que ce n’est pas plutôt le déguisement du destin, je n’en sais rien... Et là, dans le désert, je me perds et je risque de mourir. Mais en même temps, je passe une nuit sous les étoiles, une nuit mystique, une nuit de feu. Finalement on m’a retrouvé au milieu des rochers. Et ma vie avait totalement changé pour toujours. Mais je ne cherchais rien, j’ai trouvé quelque chose que je ne cherchais pas. Peut-être que oui je cherchais, mais je n’étais pas conscient de chercher.
VOVworld : Vos œuvres vont du christianisme, du judaïsme, jusqu’au bouddhisme… Vous gardez toujours le point de vue d’un athé ?
Eric-Emmanuel Schmitt : En fait, l’expérience de Dieu que j’ai fait dans le désert pendant cette nuit mystique, c’était une expérience de Dieu en dehors des religions. C’était une expérience spirituelle, pas religieuse. Et en plus, comme je n’avais pas de cadre religieux familial, je ne l’ai pas tout de suite assimilée ou remise dans un cadre religieux. Ce qui fait que après ma grande nuit au désert, lorsque je suis rentré en France, je me suis mis à lire les mystiques du monde entier et de toutes les religions. Et à chaque fois, j’ai découvert avec surprise que j’avais des frères et des sœurs partout sur la terre, dans toutes les religions. Ça a créé en moi un sentiment de solidarité, bien supérieur à la différence des religions. Ce qui fait que plus tard, je me suis mis à écrire sur les religions. Je n’écris pas sur les religions comme un athé, mais comme un mystique. C’est-à-dire que je rentre dans chaque religion par la porte du mysticisme. C’est une petite porte au fond du jardin, ce n’est pas la porte officielle. Je me suis en plus rendu compte qu’il est important d’avoir ce regard-là, c’est un regard humaniste sur les trésors de spiritualité qui existent dans l’humanité.
VOVworld : Vous adoptez toujours un regard humaniste. Il y a toujours dans vos œuvres une idée de tolérance…
Eric-Emmanuel Schmitt : C’est extrêmement important. Je crois que c’est un des grands buts de ma vie, de travailler pour provoquer chez les lecteurs plus de tolérance. Il y a un mot que je préfère à «tolérance», c’est «bienveillance». La bienveillance, c’est une vertu, c’est ouvrir les bras, et jeter un bon regard sur ce qui est différent de soi. Et c’est pour ça parfois le succès de certaines de mes œuvres me fait vraiment chaud au cœur. Je suis philosophe de formation, mais si j’avais écrit un essai philosophique sur la tolérance, qui l’aurait lu? Or j’écris une histoire, et en écrivant une histoire je vais amener des gens peut-être intolérants à perdre leurs préjugés, à avoir plus d’intérêts, parce que la littérature a des armes que la philosophie n’a pas. La littérature, ça peut pratiquer l’empathie, la sympathie, la compassion, le rire, l’émotion… Grâce à ça on peut rentrer beaucoup plus profondément dans l’âme du lecteur, et peut-être le changer, encore plus.
VOVworld : Vous êtes encore cinéaste!
Eric-Emmanuel Schmitt : Oui, de temps en temps, parce que souvent on me propose de faire des films, et je réponds aux producteurs «non non je suis en train d’écrire, j’ai trop de livres à écrire, je vais mourir avant d’avoir écrit tous les livres que je vais écrire»… Mais j’ai fait des films, avec chaque fois beaucoup de joies, de bonheurs. Pour moi, l’art majeur ça reste la littérature. Pourquoi? Parce que la littérature demande un lecteur actif. Moi j’écris d’une façon très subjective. Je ne décris jamais, je suggère toujours. Par contre je trouve que le cinéma endort l’imagination et je crois que je préfère un lecteur actif.
VOVworld : Vous aimez des prises de risque alors?
Eric-Emmanuel Schmitt : Ah oui, passionnément. Après avoir fait un roman je vais écrire un recueil de nouvelles, après je vais faire un conte philosophique, après je fais une pièce de théâtre, et puis après je fais un essai sur la musique, un film… et tout d’un coup « ah oui tiens ça fait longtemps que je n’ai pas écrit un roman », alors j’écris un roman…. J’aime avoir peur, j’aime ne pas avoir d’habitude, j’aime avoir le sentiment de risquer toute ma vie à chaque instant. J’aime l’intensité. Ça ne m’intéresse pas de faire carrière, ce qui m’intéresse, c’est de créer, et de me faire peur. Quand je cesserais d’avoir peur, j’arrêterais tout.
VOVworld : Vous avez un théâtre, Rive Gauche. Comment nourrir toutes ces passions ?
Eric-Emmanuel Schmitt : Parfois les journées sont un peu courtes. Je pense que c’était un rêve d’enfant d’avoir un théâtre, et puis c’est une liberté que je me suis achetée. La liberté ça coûte cher, mais qu’est-ce c’est bon ! Je peux faire ce que je veux dans mon théâtre. C’est beaucoup de soucis, parce qu’il y a des artistes, des problèmes économiques, financiers, moi je ne suis pas très bon pour ça. Parfois j’ai du mal à dormir…. Mais je crois que je ne regrette pas du tout. C’est très excitant d’avoir un lieu de création. Et puis je fais tout ça avec des amis, des intimes. C’est mon plus grand cadeau, d’avoir de belles rencontres avec des gens avec qui je fais un trajet de vie ensemble.