(VOVWORLD) - Le tumulte incessant de la mégalopole du Sud laisse peu de place à la quiétude… C’est en tout cas ce qui parait de prime abord. Et pourtant, on y trouve encore quelques personnes sur lesquelles toute cette agitation ne semble pas avoir prise et qui continuent de cultiver un art de vivre à l’ancienne. Ainsi Vo Van Rang, relieur de livres anciens de son état…
Vo Van Rang dans son atelier à Hô Chi Minh-Ville (photo: Tung Duong)
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On aurait presque l’impression de se retrouver dans l’œil du cyclone, tant le calme qui règne sur cette petit coin reculé du 3e arrondissement de Hô Chi Minh-ville est insolite... Je me trouve rue Ly Chinh Thang. Dans une petite maison, j’avise un homme, tout à fait ordinaire, avec un pantalon court et une chemise usée, en train de lire… C’est manifestement son passe-temps favori: sa maison ressemble à l’antre d’un bouquiniste... Au bout d'un moment, le vieil homme s’aperçoit enfin de ma présence…
«J'aime lire. C’est à tel point vrai que quand j’étais jeune, je dépensais tout mon argent en bouquins… Mais maintenant que je suis relieur, je n’ai plus besoin d’en acheter. Des livres, on m’en apporte, et en général, ce sont des livres précieux, sinon, on ne les ferait pas relier… Que ça ait une valeur sentimentale ou une valeur littéraire, ça vaut toujours le détour!», me dit-il.
Le vieil homme en question n’est autre que Vo Van Rang, «le dernier relieur de livres anciens de la mégapole du Sud»…
Né en 1960, Vo Van Rang a commencé à travailler dans l’imprimerie familiale quand il n’avait que 15 ans. Alors qu’il était encore jeune, il s’est déplacé une vertèbre, suite à un accident. Depuis, il passe presque toutes ses journées sur sa table à faire et refaire des reliures.
«J’ai commencé dans les années 80», me raconte-t-il. «J’avais un ami dont la mère était relieuse. À l’époque, c’était un métier plutôt lucratif... Je me rappelle qu’un beau jour, comme je me trouvais là et qu’elle avait besoin d’un coup de main, elle m’a demandé de l’aider. C’est comme ça que tout a commencé. Au début, je voyais plutôt ça comme un passe-temps. Puis il y a eu cet accident et du coup, je suis devenu moi aussi relieur à plein temps, et je le suis toujours!»
Outils de Vo Van Rang (photo: Tung Duong) |
Des ciseaux, de la colle, du fil, des aiguilles, un coupe-papier… Excepté bien sûr un solide savoir-faire, il n’en faut pas plus pour être relieur… Chaque semaine, Vo Van Rang reçoit une dizaine de livres qui lui sont envoyés par des bibliophiles de tout Hô Chi Minh-ville, et parfois même des régions alentours.
«Mes clients sont majoritairement des personnes âgées qui veulent redonner une seconde jeunesse à leurs ouvrages favoris», m’explique-t-il. «Il y a aussi des collectionneurs et des bouquinistes, forcément… En général, je n'utilise qu’une aiguille pour réparer un livre alors qu’avant il m’en fallait trois ou quatre. Je trouve que les vieux livres sont plus épais que ceux de maintenant, que le papier est plus rigide… Quand un livre est suffisamment bien conservé, une demie journée de travail me suffit, mais dans certains cas, j’ai besoin de plusieurs jours».
Relieur, donc… Un métier qui effectivement était assez florissant dans les années 80, 90, mais qui maintenant, est en perte de vitesse. La faute à tous ces outils numériques qui permettent de lire sans avoir à manipuler de livre… Pour l’instant, Vo Van Rang ne voit pas qui pourrait reprendre le flambeau: il est, à sa manière, «le dernier des Mohicans»…
«C’est vrai qu’aujourd’hui, les jeunes lisent de moins en moins de livres», constate-t-il. «Ils ont la télé et ils peuvent lire sur internet, sur leurs téléphones… C’est comme ça, il faut bien vivre avec son temps…»
Pas sûr, cela étant, que Vo Van Rang ne fasse pas d’émule. Beaucoup de bibliophiles viennent le voir pour discuter avec lui de méthodes de conservation… Et ils sont toujours accueillis à bras ouverts…
«J’adore discuter avec les lecteurs. Ils ont beaucoup d’idées à partager. Et ça me redonne espoir: il y a toujours des gens qui ont le goût de la lecture!», s’écrie-t-il.
Tranquillement, Vo Van Rang continue à relier ses livres, sans se soucier de savoir s’il exerce un métier d’avenir… Il est l’image même de l’artisan avec un A majuscule, avec tout ce que cela suppose de noblesse…