Papa je souhaite…

(VOVworld) - « Violences familiales » : ce terme nous renvoie le plus souvent à l’idée que ce sont les femmes ou les filles qui en sont les victimes.  Mais il ne faut pas ignorer des garçons vivant dans les familles hantées par les violences, car eux, vont un jour devenir des hommes. Que pensent-ils ? Que souhaitent-ils ? 23 jeunes victimes de violences familiales ont répondu à ces questions à travers l’exposition photographique “Dad I wish…” – “Papa je souhaite…”, tenue à Hanoi ce dernier mois de l’année. 

Papa je souhaite… - ảnh 1

“Peux-tu m’expliquer ton idée?”

“Mon idée, c’était de prendre des photos quand mon père était normal, quand il n’était pas ivre et qu’il pouvait faire le ménage.”

“Que faisait ton papa lorsqu’ il est ivre?”

“Il pestait et frappait autrui….”

“Qu’est-ce qu’il t’a dit quand tu prenais ces photos?”

“Quand je prenais ces photos, mon papa n’était pas ivre, il était normal donc il ne s’est pas plaint”

“Est-ce qu’il savait que ses photos seraient exposées?”

 “Non, il ne le savait pas.”

“Que veux-tu dire à ton père à travers ces photos?”  

“Je souhaite que mon papa reste toujours en éveil, qu’il ne soit pas ivre…”

Papa je souhaite… - ảnh 2

Papa prépare le repas, papa cueille des légumes, papa pèle des oignons… le père de P. semble vraiment « normal » dans ses photos. Si normal qu’il est bien difficile de l’imaginer agressif ou violent. C’est pourtant le cas ! Son fils figure parmi les 23 participants du projet « Daddy I wish » - « Papa je souhaite », un projet photographique réalisé sur et par les victimes des violences familiales, parrainé par le centre d’étude et de sciences appliquées en genre-famille, femmes et adolescents CSAGA, le fonds des Nations Unies pour la population et l’ambassade du Canada au Vietnam.

“Pour la première fois, nous choisissons d’utiliser le photovoice pour faire parler les garçons victimes des violences familiales, nous explique Nguyen Van Anh, directrice de CSAGA. Ces garçons sont gravement traumatisés. Etant blessés, ils pourraient dans l’avenir blesser à leur tour leurs proches. C’est vraiment difficile, de rééduquer un adulte. Nous souhaitons donc que dès leur jeune âge, ils puissent comprendre ce que sont les violences familiales, l’inégalité de sexe, pour que dans le futur, ils ne commettent pas ces erreurs.”

Papa je souhaite… - ảnh 3

J’ai du m’y reprendre à plusieurs fois pour persuader P. à répondre à mes questions. Quand tous les invités contemplent les photos, il quitte en silence la salle d’exposition pour rejoindre ses amis en dehors. Réservés, distants, portant en eux un complexe d’infériorité…ils sont tous comme ça, les garçons qui participent au projet. Il a  d’ailleurs été très difficile, bien souvent, de les convaincre d’y participer. “Parler et écouter”, c’est ainsi que Nguyen The Son, photographe-conseiller du projet, les a encouragés à prendre des photos.

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“Ce que je fais dans ce projet, c’est inciter ces garçons à utiliser la photographie comme un outil pour raconter leur histoire. Je n’ai aucune autre façon de les persuader. J’ai juste parlé avec eux, écouté leur histoire. Toutes les photos sont exposées telles qu’elles sont, tout à fait brutes je n’ai eu qu’à les classer de sorte que les visiteurs puissent les suivre facilement. ”

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Pas de blessure, pas de douleur, ces photos qui parlent de violences, ne sont pas du tout affreuses ou ensanglantées. Mais le coeur se serre quand on voit l’image de mains ficelées par un foulard rouge, d’un balai épars au milieu de la chambre, d’une rangée de bouteilles d’alcool…

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“Le sujet sur les violences familiales est délicat et dangereux, poursuit Nguyen The Son. J’ai décidé alors de l’approcher de façon indirecte. Nos jeunes participants ne sont pas reporters sur le terrain, il n’est pas question, pour eux, de prendre des photos lorsque les violences familiales ont lieu. Mais les violences laissent une empreinte sur les objets, dans l’espace… et ce sont ces objets, cette atmosphère qu’ils doivent exploiter.”

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Plus qu’une exposition sur les violences familiales, “Papa je souhaite…” est une collection de souhaits que les garçons adressent à leur père. Ça peut être un voyage de famille, un repas ensemble, ou simplement, comme P. nous a dit, “si papa n’était pas ivre” ... “J’ai de la chance”, plusieurs visiteurs ont quitté cette exposition en se le disant.

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“J’ai de la chance. Je n’ai jamais vécu de telles choses. Je veux exprimer mes condoléances à ces garçons. Désormais, je me sens plus proche de ma famille. Je sais que de temps en temps, mes parents sont en désaccord, mais ils s’arrangent entre eux pour ne pas nous blesser. Je les en remercie du fond du cœur. »  

 “Ces vœux, si simples, si fondamentaux, semblent si loin de leur portée. Je pense que ces pères sont ivres car ils sont insatisfaits de leur vie, et du coup, ils s’en prennent à leur femme ou à leurs enfants. En tant qu’ homme, je pense qu’on peut, qu’on doit, savoir affronter les difficultés pour préserver nos proches.”

“Cette exposition est très spéciale. Pour nous, c’est très profond parce qu’il y a 25 ans, nous avons eu une grande tragédie au Canada, à l’école polytechnique de Montréal. On comprend donc que les violences domestiques sont un problème pour l’homme. Et nous devons essayer de régler ce problème. C’est une politique de notre gouvernement, les violences contre la famille sont un problème qu’on doit régler, non seulement cette année, mais dans les années qui suivent.”

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La tragédie qu’a mentionnée l’ambassadeur du Canada au Vietnam David Devine, c’est la tuerie de l’Ecole polytechnique de Montréal en 1989 qui avait fait 14 morts. Le tireur, Marc Lépine, avait été victime de sévices physiques perpétrés par son père durant son enfance. Je ne sais pas si Marc avait eu la chance de dire “Papa je souhaite…” mais je sais que je n’oublierai jamais l’image des ces petits gamins, se regroupant et se passant de main en main des cigarettes… le plus grand n’avait que 17 ans…

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