Trois Nuage au pays des Nénuphars

Bien que n’étant pas écrivain de métier, Nuage Rose, ou Tran Thi Hong Van, l’auteur de « Trois Nuage au pays des nénuphars » a séduit des milliers de lecteurs occidentaux avec un livre qui retrace ses souvenirs d’enfance au Vietnam dans les années 60 durant la guerre. Qu’est-ce qui a fait de ce livre un tel succès ? Qu’est-ce qui distingue ce livre des milliers d’autres qui traitent le même sujet ?

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Trois Nuage au pays des Nénuphars (Source:Société des écrivains)


Au premier coup d’oeil, la couverture de « Trois Nuage au pays des nénuphars » nous donne l’impression qu’il s’agit d’un ouvrage pour enfants. On y voit en effet deux enfants assis côte à côte, sur une terrasse. L’un des deux, un petit garçon, semble vouloir nous montrer quelque chose au loin, au dessus du fleuve et des îlots qui s’étendent devant lui. Au dessus, le titre, « Trois Nuage au pays des nénuphars », est inscrit sur fond rose, comme si toute l’histoire que renfermait ce livre n’était qu’innocence, douceur et rêverie… Apparences trompeuses : c’est dans les années 60, à Hanoi, que se situe ce récit, à mi-chemin entre roman et autobiographie.    

Hanoi, les années 60, donc. Nuage Rose est la benjamine de sa famille. Son père est médecin et sa mère, ingénieure chimiste. Comme tous les enfants nés à la même époque, elle a vécu une enfance rythmée par les bombardements américains, et les évacuations. Accompagnée de ses sœurs, Nuage Rose quitte sa mère pour rejoindre son père dans un hôpital à Hai Duong. Commence alors pour elle une nouvelle vie errante, itinérante, qu’elle nous raconte dans son livre.

« Pour les trois petites Nuage, immergées dans la réalité extravagante de leur patrie, l’hôpital devient tout naturellement leur maison et leur aire de jeu. Au lieu d’éloigner ses filles des malades, des blessés, du sang, Bố préfère les confronter à la réalité de leur existence. Quand, sous l’écrasante avancée de la guerre, doublée du poids d’un régime totalitaire, on ne peut que subir les coups répétés de cette machine de mort, sans pouvoir les empêcher ni s’en protéger, quelle meilleure façon de préserver ses enfants des traumatismes que de leur apprendre à accepter la vie comme elle vient ? Les Nuage jouent dans la cour de l’hôpital, font la course dans les couloirs, vont et viennent librement d’un bâtiment à un autre. Le personnel médical s’habitue à les voir fureter partout et leur donne à elles aussi un surnom, « la Septième flotte », allusion à la marine américaine, patrouillant sans trêve ni vergogne au large des eaux nord-vietnamiennes. »

(Extrait du livre "Trois Nuage au pays des Nénuphars")


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Nuage Rose (Source: Facebook Trois Nuage au pays des Nénuphars)

Il y a des critiques littéraires qui ont reproché à Nuage Rose de ne pas avoir abordé suffisamment l’atrocité de la guerre dans son livre. Certes, on n’y trouve pas de combats sanglants, on n’y compte pas les blessés et les morts, mais la guerre guette toujours à chaque page, horrible et meutrissante.

« Un dimanche 1965, j’avais cinq ans, et je courais derrière le vélo de ma maman, de Me, parce que ma mère devait rentrer à la capitale, et moi avec mes sœurs, on devait rester à la campagne. Je comprenais pas. Je lui en voulais. J’avais mis beaucoup de temps pour écrire ce passage.

Un autre passage aussi que j’ai mis beaucoup de temps pour écrire, c’est le Noël 72. La rue Kham Thien qui avait été bombardée par les B52. L’image de ce petit garçon enseveli, mort étouffé vivant. En tant que mère, raconter tout ça, c’est vraiment très dur. »

Finalement, au-delà de toutes les horreurs de la guerre, ce qui compte, c’est l’amour que portent les parents à leurs enfants, ce sont ces paysans qui les protègent sur la route de l’exode… C’est cette douceur triomphante qui fait de « Trois Nuage au pays des nénuphars » une oeuvre à part sur la guerre du Vietnam, une œuvre imprégnée de fraîcheur et d’humanisme. Les trois « Nuage », les trois enfants autrement dits, poursuivent leurs études sous l’œil vigileant de leur père, en dépit de leur vie errante. Ils apprennent même à nager et à danser avec leur grand-père. Une tranche de vie douloureuse, errante, donc, mais pourtant… heureuse.

« Paradoxalement, en écrivant, je me suis rendue compte que finalement, malgré la guerre, malgré la misère et la mort qui nous entouraient, le sang qui coulait, j’étais heureuse, malgré cette enfance vraiment meurtrie par la guerre. J’étais heureuse parce que je me sentais aimée, protégée par les miens, et pas seulement par ma famille, mais aussi par tous ces paysans qui nous ont aimés et protégés pendant toutes ces années. »  

Des milliers de lecteurs occidentaux ont été séduits par ce récit de guerre à la tonalité si différente, ce récit qui les a fait un peu pénétrer dans l’intimité de chaque foyer vietnamien.  

« Nuage Rose est née à une époque où la guerre d’Indochine cédait le pas à la guerre du Vietnam et c’est dans tout ce contexte politique et économique qu’elle situe son romance qui est largement autobiographique et dans lequel elle montre, je crois merveilleusement bien, à quel point les liens familiaux peuvent permettre de traverser des époques difficiles. »

« J’ai été vraiment très très émue, et je dois avouer qu’il y a des passages où les larmes me sont venues aux yeux. C’est probablement dû au fait que je suis maman, et que je vois ça avec les yeux d’une maman, mais aussi parce que je réalise que depuis que j’ai terminé cette lecture, je vois les Vietnamiens tous les jours dans la rue, avec un autre regard. Et quand parfois j’ai la peine à comprendre leur réaction, ou leur comportement, maintenant je me dis « voilà, je sais un peu mieux ce que ces gens ont vécu, par quoi ils ont passé », et je pense que, pour nous, les expatriés, qui habitons ici, c’est une richesse inestimable, je pense que ça change notre vision des Vietnamiens dans notre vie quotidienne. »

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Hà Nội, 1961 - Bố Mẹ et trois Nuage dans la maison familiale (Source:librairie.immateriel.fr)


« Construit de faits réels et de souvenirs d’enfance, ce récit, romancé est avant tout une lettre d’amour que j’adresse à la mémoire de mon grand-père maternel et à mes parents, à qui je dois tout et qui m’ont tout donné, surtout quand, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ils n’avaient absolument plus rien… » a confié Nuage Rose dans le préambule de son livre. Cette lettre d’amour a certainement dépassé sa fonction initiale, pour ouvrir une nouvelle vision de la guerre au Vietnam au monde: quelque part au dessus des hélicoptères en colère de Coppola, il y a trois Nuage, Doré, Bleu et Rose qui flottent, librement.

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