(VOVworld) - "Indie", un mot qui rime avec "liberté", "créativité" et "anti-conformisme", et qui désigne aussi une culture particulièrement en vogue chez les jeunes du monde entier. La culture "indie", donc: un phénomène qui n'épargne pas les jeunes Vietnamiens, et que Ray et Kim, de leurs vrais noms An et Van Anh, essaient de décrypter pour nous.
Photos : Sap Bao
Lorsque l'on parle de magazines, on pense immédiatement à des publications comme Elle, Vogue, People… Des publications à grand tirage qui vivent essentiellement de la publicité, et dont les choix éditoriaux sont dès lors guidés par des impératifs commerciaux. A côté de ces magazines qu'on ne présente plus, sont apparues de nouvelles publications, qui revendiquent une liberté éditoriale totale. Ce sont des magazines indépendants, qui apportent un souffle d’air frais en cassant tous les codes en vigueur, depuis la mise en page jusqu'au langage, en passant par le contenu. Seul problème, mais non des moindres, ces publications restent pour l'instant assez confidentielles, et dans la plupart des cas, on en a entendu parler, faute d'avoir pu en tenir une seule en main propre, notamment au Vietnam. Un problème qui n'a pas échapé à Ray, un jeune graphiste qui travaille aux Etas-Unis.
«Au Vietnam, à part des magazines commerciaux bourrés de publicités, on ne trouve pour ainsi dire rien, pas de publications indépendantes, en tout cas. Et pourtant, il y a une véritable soif de découverte chez les jeune Vietnamiens. Moi, je vis et je travaille aux Etats-Unis. Quand je veux trouver une idée, il me suffit d'entrer dans une librairie... Il y a des milliers de choses très différentes. Au Vietnam, par contre, c'est un peu le désert de ce côté-là, alors c'est pour ça qu'avec Kim, on a lancé Sap Bao.»
Sap Bao, donc: un nom facile à retenir et tout à fait dans la mouvance "indie", qui nous renvoie à une époque où les kiosques à journaux étaient littéralement pris d'assaut. C'est Kim qui gère tout le côté marketting.
«An est graphiste et moi-même, je travaille aussi dans ce domaine. On entretient des relations très suivies avec les milieux artistiques. On leur fournit des documents qui les guident dans leur travail tout en leur laissant une bonne marge de manoeuvre. C'est à la fois très rigoureux et très décontracté.»
D'où vient la "clientèle", si on peut employer le mot, de Sap Bao? Des grandes villes, bien sûr, mais pas seulement. Elle est composée d'adeptes de la "dolce vita" que propose ces magazines d’art d'un genre nouveau, qui invitent au voyage autant qu'ils ouvrent de nouveaux horizons. Imaginez un peu: des reportages un peu dingues, des vie d'artistes, des virées dans des ateliers de mode, des conseils pour le travail, des recettes, des recommandations de voyages... Le tout conçu comme un blog qui ferait délibérement fi de l'éclat factice des magazines commerciaux.
«Je crois que beaucoup de jeunes aimeraient se lancer dans l'art ou le design, nous confie Kim, mais peut-être qu’ils ont pas encore l’opportunité de le faire, notamment ceux qui viennent des régions un peu reculées. Ce que je voudrais, c'est que Sap Bao leur donne une impulsion, que ça puisse au moins leur permettre d'accumuler du savoir-faire.»
"Kinfolk", "Cereal", "Inventory", "Thisipaper", "Hypebeast", "Human being"… Des titres percutants pour une présentation léchée, un soin incroyable apporté aux photographies, une véritable ambiance dans laquelle on se laisse emporter et une place de choix pour les « vrais » gens et les expériences personnelles. Le tout dans un ensemble de quelques centaines de pages, qui vaut son pesant d’or.
«Les imprimés sont lourds. Les procédures douanières sont en plus très compliquées. Et puis il y a aussi pas mal de maisons d'édition qui ne font pas de livraison à l'étranger, ni même à l'intérieur du pays. Et pourtant, on propose des prix raisonnables. Ce qui compte, pour nous, c'est la qualité du produit, et même de l'emballage. Sap Bao, ce n'est pas une affaire de sous, c'est une affaire de passion.»
«On a étudié le marché pour voir un peu comment pouvaient se répartir les lecteurs potentiels, en espérant pouvoir ratisser large. On a aussi fait de la pub sur Facebook, mais on a plein d'autres idées. Ce qu'on voudrait faire, c'est créer un espace qui permette aux gens de partager des imprimés intéressants, pour aussi revaloriser l'imprimé en tant qu'objet, parce que lire sur un écran, c'est bien, mais ça ne vaut pas le plaisir de compulser un livre ou un magazine.»
Le rêve de Ray et de Kim, c’est d’ouvrir un boutique d’imprimés indépendants, avec des publications qui traiteraient aussi bien de peinture que de musique, de surf, de cuisine, de couture, d'art de vivre, de que-sais-je-encore... De ce genre de magazines qui sont complètement hors du temps, que l'on peut laisser dormir pendant plusieurs mois et réouvrir avec un bonheur insoupçonnés pour égayer un après-midi pluvieux.
«Ce qui me plait le plus, c’est de pouvoir satisfaire les clients. Je suis moi-même une grande lectrice de journaux, et c’est grâce à Sap Bao que je peux savoir quelles sont les publications intéressantes. Et puis il y le papier, le fait de pouvoir le toucher, le sentir... C'est tout un monde de sensations, ça...»
«Et moi je suis ravi de contribuer pour une petite part au bonheur des lecteurs. Qu’ils mettent 10 minutes à regarder les illustrations ou qu’ils y passent toute une soirée, peu importe! Que ce soit pour apprendre ou pour se divertir, c'est une petite part de bonheur à laquelle je tiens par-dessus tout.»
Internet ne tue pas forcément le papier. Il l’enrichit. Qui pourrait résister à une compilation d’images inspirantes et de textes bien écrits qui donnent envie de se poser, de respirer, d’inviter des amis à partager un plat… et surtout, de créer ?