(VOVWORLD) - Le cai luong, forme de théâtre chanté typique du Sud du Vietnam, vient d’avoir cent ans. A cette occasion, le public a eu droit à une pièce remarquable intitulée «Maître Ba Doi», du surnom donné au musicien Nguyên Quang Dai, qui a joué un rôle essentiel lorsque cet art en était encore à ses premiers balbutiements. Ecrite par le professeur associé Nguyên Thê Ky, président de la Voix du Vietnam, la pièce retrace une période de l’Histoire nationale, en mettant en relief les valeurs du cai luong.
Nguyên Quang Dai était professeur de musique et musicien à la cour au début du 20e siècle. Partisan du roi Hàm Nghi qui s’opposait aux colonialistes français, il a été contraint de prendre la fuite. C’est justement au cours de sa fuite qu’il a rencontré Ai Hoa, la fille d’un gouverneur, qui l’a protégé. L’amour impossible avec cette demoiselle a inspiré le musicien qui allait dès lors composer des morceaux dramatiques et épiques traduisant l’état de la Nation et de son destin personnel. Un pays tombé aux mains d’agresseurs étrangers, une famille disloquée, un amour inassouvi, un patrimoine musical à transmettre… Autant de préoccupations qui transparaissent dans «Maître Ba Doi», qui a été musicalement construite autour d’un poème intitulé «Aussi accidentée que l’échelle pentatonique».
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La pièce débute par la scène d’un crépuscule à Saigon. Nous sommes en 1917. Le musicien Nguyên Quang Dai vient de s’éteindre. Résonne un morceau mélancolique dans un paysage désolé, au milieu d’un cimetière.
Retour dans le passé, quand Nguyên Quang Dai commence son périple vers le Sud avec, comme bagage, le patrimoine musical de la cour de Huê. Ce sont des éléments de la musique de Huê, de l’opéra classique vietnamien, fortement influencé par l’opéra de Pékin et du don ca tài tu, art musical du Sud, qui constituent le cai luong tel que nous le connaissons aujourd’hui. Le musicien Nguyên Quang Dai, qui au Sud a pris le surnom de «Maître Ba Doi», a participé à la création de cet art dramatique.
Dans «Maître Ba Doi», les spectateurs ne voient pas un, mais quatre maîtres Ba Doi, interprétés par quatre acteurs différents qui prennent des accents différents, du Nord, du Centre ou du Sud, selon l’endroit et le moment où se trouve le personnage.
Le metteur en scène n’est autre que l’artiste émérite Triêu Trung Kiên, directeur adjoint du Théâtre de cai luong du Vietnam.
"Au lieu de présenter un portrait unique du musicien Nguyên Quang Dai, nous avons décidé de confier ce rôle à quatre acteurs différents qui présentent quatre portraits du maître. En fait, ces portraits différents correspondent à des hypothèses vraisemblables de la vie du personnage", explique-t-il. "Notre approche semble en tout cas avoir marché auprès des spectateurs."
Même aux yeux des professionnels du cai luong, «Maître Ba Doi» est une pièce exceptionnelle, aussi bien au niveau du scénario et de la mise en scène qu’à celui du jeu des acteurs, et pas seulement des quatre qui interprètent le rôle du héros. Le metteur en scène Triêu Trung Kiên apprécie particulièrement la diversité des personnages dans la pièce:
"Plusieurs personnages sont vraiment intéressants, comme la demoiselle Ai Hoa qui représente la population du Sud qui a protégé le musicien dans la période la plus périlleuse de sa vie. C’est grâce à elle que le maître a pu laisser un héritage aussi important. La mère d’Ai Hoa est quant à elle représentative de la femme vietnamienne, gentille, généreuse, fidèle et prête à se sacrifier pour de nobles causes. Chacun de nos acteurs a fait de son mieux", fait-il valoir.
Les acteurs viennent de deux théâtres de cai luong, le théâtre national, basé à Hanoï, où travaille le metteur en scène Triêu Trung Kiên, et celui de Trân Huu Trang, à Hô Chi Minh-ville. Quang Khai, l’un des quatre acteurs qui ont joué le rôle du maître Ba Doi, vient de Hanoï:
"Nous sommes des artistes professionnels qui sont liés par l’amour de l’art, en l’occurrence le cai luong. La distance géographique n’a pas d’importance. Tout ce que nous avons essayé de faire ensemble, c’est d’incarner des personnages susceptibles d’aller droit au cœur des spectateurs", nous dit-il.
La pièce «Maître Ba Doi» a été créée pour célébrer les cent ans du cai luong. En 150 minutes, les spectateurs suivent les hauts et les bas de la vie du musicien. Modernité oblige, au cai luong classique se sont ajoutés des danses contemporaines, des projections cinématographiques, un écran 3D et des mélodies mélancoliques de violon. Des nouveautés qui ont plu tant aux spectateurs qu’aux professionnels qui ont eu l’occasion de voir cette pièce, laquelle devrait entrer dans le répertoire des classiques du cai luong.