Le Kieu a été adapté plusieurs fois, en des formes de théâtre traditionnel telles le chèo ou le cai luong, mais aussi en théâtre corporel et en opéra. Avec le Théâtre dramatique du Vietnam, cette œuvre revêt pour la première fois la forme d’une comédie musicale, disons plutôt d’une tragédie musicale, puisque la vie de Kieu, l’héroïne de la pièce, et des personnes qui l’entourent nous conduit plutôt dans le registre de la tragédie que de la comédie. Ngo Quang Nang, un spectateur:
«Je suis vraiment heureux d’avoir pu voir cette pièce empreinte d’humanité et de courage, des qualités souvent attribuées aux Vietnamiens. Je suis particulièrement marqué par la scène où Tu Hai, le chef des rebelles, meurt debout. Elle témoigne du combat sans merci entre d’un côté, des hommes épris de liberté et de l’autre, une cour qui n’a plus le respect du peuple.»
L’artiste du peuple Lan Huong joue le rôle de la femme du vendeur de soie, qui a proféré les mensonges à cause desquels la famille de Kieu est tombée dans la tourmente. Son père et son frère ont été arrêtés et torturés et Kieu doit se vendre pour obtenir leur liberté. Dans le roman en vers de Nguyen Du, le vendeur de soie n’apparaît qu’une seule fois, et sa femme n’existe pas. Ce personnage a donc été créé exclusivement pour la pièce du Théâtre dramatique, comme nous l’explique Lan Huong.
«La majorité des Vietnamiens connaissent le Kieu dont plusieurs des personnages sont devenus typiques tels que So Khanh, Tu Ba, Thuc Sinh ou Hoan Thu… Ce que nous avons cherché à faire, ce n’est pas de raconter cette histoire telle qu’elle a été racontée par Nguyen Du, mais de proposer une autre version avec d’autres messages.»
Dans l’œuvre de Nguyen Du et aux yeux de ses lecteurs, Kieu est l’archétype de la femme orientale déconsidérée et résignée dans la société féodale. Mais Kieu, dans cette nouvelle adaptation, nous présente d’autres facettes, comme le dit très bien Diem Huong, qui incarne le personnage.
«Les spectateurs seront surpris de voir que notre Kieu n’est pas une fille simple qui accepte son sort sans se révolter. Au contraire, elle se bat avec force même si finalement elle ne pourra pas s’en sortir.»
Mais il n’y a pas que malheurs et souffrances dans cette tragédie musicale, ses créateurs rendant aussi hommage à la beauté féminine, aux talents divers des personnages, à la piété familiale, à la fidélité, à l’héroïsme… Le décor est simple, avec comme relief des fleurs de lotus, faisant allusion à la vie humaine qui éclot et s’épanouit avant de se fâner. Des danses anciennes sont introduites dans la pièce et les vers qui ont marqué des générations de Vietnamiens sont récités sous formes de dialogues, de déclamations poétiques ou de chants mélodieux. Le metteur en scène, l’artiste du peuple Anh Tu :
«Nous avons tenu à respecter l’idée de l’œuvre originale de Nguyen Du, dans laquelle la belle et talentueuse Kieu a eu un destin tragique. Mais ce que j’aime le plus dans cette œuvre, c’est la prévisibilité des événements. Lorsque l’argent et le pouvoir malsain dominent la société, ça bouleverse beaucoup de choses, dont les valeurs morales.»
Vieux de 200 ans, le chef d’œuvre de Nguyen Du enfile aujourd’hui un nouveau costume, celui d’une grande pièce de théâtre contemporain.