(VOVWORLD) - Rendez-vous aujourd’hui chez les Ede pour découvrir un objet pour le moins original de cette communauté ethnique des Hauts-Plateaux du Centre. Il s’agit d’un banc baptisé Kpan, un banc en bois où s’assoient les joueurs de gongs lors des fêtes villageoises importantes. Mais pour les Ede, cet objet est un signe de pouvoir, car seules les personnes très riches disposant d’une maison très longue peuvent en posséder un.
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Le Kpan est un banc taillé d’un seul tronc de bois. Ses dimensions? Une longueur allant de 5 à 15m, une largeur de 70 à 90 cm et une épaisseur de 8cm. Le banc est légèrement courbé à ses deux extrémités, ce qui lui donne un aspect à la fois robuste et élégant. La fabrication d’un Kpan nécessite les efforts de plusieurs personnes qui y consacrent de une à deux semaines. Celui qui le commande doit non seulement proposer chaque jour des repas copieux aux menuisiers et aux villageois venus prêter main forte, mais aussi organiser des cérémonies de sacrifices d’animaux, et des réceptions ouvertes à toute la communauté. En principe, c’est le mari qui décide s’il veut disposer d’un Kpan; il doit néanmoins en discuter avec sa belle-famille. Ensuite, il va dans la forêt pour chercher l’arbre duquel sera fait son Kpan. Il en prélève un petit morceau d’écorce et le présente aux divinités, pour demander l’autorisation de couper l’arbre en question. L’abattage aura lieu un jour faste, et pour que tout se passe bien, il faut absolument s’assurer que ce jour-là, il n’y ait pas de funérailles dans le village, explique Ae Hao, le patriarche d’un village de la province de Dak Lak:
«Avant l’abattage, trois garçons et trois filles danseront autour de l’arbre, les premiers portant un cache-sexe et les secondes, une robe brodée. Ensuite, un chaman conduira une cérémonie de culte. Nous croyons que grâce à toutes ces précautions, le Kpan sera beau et qu’il n’aura pas de fissure.»
C’est le chaman qui entame le tronc avec une hache. Sept autres personnes qui ont été choisies à l’avance vont lui succéder en coupant chacun trois fois. Viennent ensuite les autres villageois. Une fois l’arbre abattu et défeuillé, le maître de céans et le chaman marcheront dessus sept fois pour chasser les mauvais esprits. Ensuite, les sept personnes choisies tailleront l’arbre pour en faire un banc en forme de pirogue.
Le Kpan ainsi créé fera l’objet d’une procession équivalente à celle destinée à accueillir un nouveau membre dans la famille. Pour les Ede, le Kpan abrite en effet une âme qui a besoin, lorsqu’elle déménage, de vêtements et de literie. Ae Vui, doyen d’un autre village de la province de Dak Lak:
«Il faut beaucoup de choses pour la procession du Kpan. Les femmes préparent des couvertures, des vêtements en brocatelle. Les hommes, eux, apportent des cache-sexe et d’autres habits pour couvrir le Kpan. Et, il ne faut surtout pas oublier l’alcool à siroter avec des chalumeaux.»
La procession commence. Les parents plus ou moins lointains du maître de céans se mettent en deux rangs, applaudissant le Kpan sur son chemin vers sa nouvelle demeure. A peine effleure-t-il le pied de l’escalier que le chaman paraît, une lance aux mains. Que fait-il? Il fonce sa lance sur la «tête» du Kpan, un rituel destiné à chasser les mauvais esprits qui se seraient abrités dans ce banc. Le patriarche Ae Vui, encore:
«Le chaman accueille le Kpan en dansant avec une lance et un bouclier pour chasser les mauvais esprits. D’autres personnes joueront des instruments à vent traditionnels, mais attention, pas de Dinh Nam, parce que c’est un tabou. Par la suite, on fait entrer le Kpan dans la maison sur pilotis. Une cérémonie de culte sera alors organisée. On sacrifiera deux buffles, l’un dédié aux ancêtres et l’autre au maître de céans. Au Kpan, on dédie un cochon noir et une jarre d’alcool.»
Le Kpan trouvera sa place dans le salon, contre la paroi ouest de la maison. Personne n’a le droit de s’asseoir dessus, y compris les joueurs de gongs… avant que le maître de céans ne s’y soit lui-même assis par trois fois, la main tenue par le chaman. C’est ainsi qu’il dompte le Kpan qui accepte désormais qu’il soit son maître. Et ce n’est qu’après ce rite que le Kpan devient un banc sur lequel on peut s’asseoir. Pour marquer cette transformation, les gongs résonnent, le chaman rapporte aux divinités que le Kpan a maintenant un maître. Le patriarche Ae Hao, encore:
«Le chaman invoque tous les génies, de la terre, de la montagne, des arbres… sans oublier aucun d’entre eux. Il invite également les ancêtres à assister à la procession du Kpan, leur priant d’apporter la prospérité à sa famille. Tous les parents doivent assister à la cérémonie, sous peine de rencontrer des malheurs dans la vie.»
La cérémonie terminée, place au festin! C’est le chaman qui invite le maître de céans et sa femme à siroter les premiers l’alcool dans la jarre. Les villageois leur succèderont. Dans la croyance Ede, le Kpan est le banc des ancêtres, symbole de la fraternité. Quand on s’asseoit dessus, toutes les haines, tous les écarts sociaux disparaissent. Ne reste plus que des sentiments sincères.