Un durcissement de la posture américaine

La ligne dure adoptée par Washington pousse les dirigeants européens à réévaluer leur stratégie face à ce qui s’apparente à un bras de fer prolongé. En mars, Donald Trump a intensifié sa rhétorique sur son réseau social Truth Social, accusant l’UE d’être «l’une des entités les plus abusives au monde en matière de taxation» et affirmant que l’Union «a été créée dans le seul but d’exploiter les États-Unis».

Cette escalade verbale s’est traduite par des mesures concrètes, avec l’instauration d’une taxe de 25% sur les importations européennes d’acier et d’aluminium, en vigueur depuis le 12 mars.

Les frictions ne se limitent pas au commerce. La Maison-Blanche remet en question la souveraineté européenne en réitérant son intérêt pour le Groenland, territoire danois stratégique dans l’Arctique. Donald Trump, premier président américain à évoquer ouvertement une acquisition de l’île, n’a pas exclu l’option militaire, une perspective inquiétante au sein de l’OTAN. Membres de l’alliance militaire, le Danemark et les États-Unis ont longtemps été liés par un engagement sécuritaire commun. Toutefois, alors que Washington s’est historiquement posé en garant de la protection de ses alliés, y compris le Danemark et le Groenland, il adopte désormais une posture qui remet en question leur sécurité, leur souveraineté et leur intégrité territoriale.

Par ailleurs, Washington intensifie ses pressions en faveur d’un accord de paix entre Moscou et Kiev tout en réduisant progressivement son engagement sécuritaire en Europe. Exploiter les faiblesses économiques, technologiques, politiques et sécuritaires de l’Europe en utilisant à la fois l’outil militaire et les tarifs douaniers comme leviers stratégiques: telle est la ligne adoptée par l’administration américaine pour affirmer la puissance des États-Unis.

L’Europe face à un dilemme stratégique

Dans ce contexte, l’Union européenne doit élaborer une réponse à la hauteur des enjeux afin de rééquilibrer ses relations avec Washington sans pour autant compromettre des liens essentiels. La question de la riposte, notamment en cas d’escalade sous l’administration Trump, constitue un défi majeur nécessitant une approche réfléchie et mesurée.

L’expérience du Canada et du Mexique, qui ont combiné mesures dissuasives et concessions sans pour autant échapper aux barrières tarifaires américaines, illustre la complexité de la situation. Consciente de cette réalité, l’Europe doit renforcer ses leviers d’action.

L’Instrument anti-coercition (ACI), en vigueur depuis décembre 2023, constitue un atout de poids en permettant à la Commission européenne de prendre des mesures de rétorsion lorsque les mécanismes de l’OMC s’avèrent inefficaces. Par ailleurs, l’UE dispose d’un arsenal réglementaire lui permettant de restreindre l’accès au marché européen, notamment en imposant des normes strictes sur les produits importés. Parmi ces outils figurent la stratégie «De la ferme à la table», qui impose des standards élevés en matière alimentaire, le Système d’échange de quotas d’émission (ETS) pour la régulation du carbone, ainsi que les réglementations sur les substances chimiques et l’écoconception, qui favorisent la durabilité.

Au-delà des mesures tarifaires et commerciales, l’Union européenne dispose d’autres leviers stratégiques pour faire face aux pressions américaines, notamment dans les domaines des services, de la propriété intellectuelle, du numérique et de la technologie. Les nouvelles réglementations européennes renforcent ainsi le contrôle du bloc sur les logiciels et plateformes numériques américaines. Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) impose déjà des normes strictes en matière de confidentialité et de transfert de données, limitant l’influence des géants technologiques américains et protégeant les intérêts européens.

Parallèlement, l’UE a renforcé ses politiques de soutien aux industries stratégiques vulnérables aux pressions extérieures. Cela passe par des subventions ciblées, des prêts à faible taux d’intérêt, ainsi que par le développement de sources d’approvisionnement alternatives afin de réduire sa dépendance et sécuriser ses chaînes de valeur.

Enfin, la capacité de l’Europe à préserver son unité et à agir de manière concertée sera déterminante dans ce contexte de tensions accrues. L’élaboration d’une stratégie défensive efficace pourrait non seulement renforcer la position de l’UE, mais aussi stabiliser les relations transatlantiques sur le long terme.