Dans sa maison discrète, le peintre se dirige doucement vers une armoire en bois usé et en sort un journal jauni par le temps.
Assis autour d’un thé fumant, Cao Trọng Thiềm et son épouse déplient le précieux document, imprimé près d’un demi-siècle plus tôt. En son centre, une carte rouge vif sur laquelle est inscrit: «Le Vietnam est un, le peuple vietnamien est un.»
«Il existait déjà de nombreuses cartes à l’époque, mais le journal Nhân Dân voulait une carte nouvelle, symbolique. Il s’agissait d’affirmer officiellement l’unité territoriale et la souveraineté du pays», se souvient-il.
Surpris mais honoré par cette mission, l’artiste s’est aussitôt attelé à la tâche. Avec minutie, il trace chaque détail, chaque contour, sans relâche, pendant 24 heures.
«Je n’ai eu que 24 heures pour réaliser cette carte. J’ai travaillé sans m’arrêter, jour et nuit. C’était une mission capitale: montrer que le Vietnam forme un tout, que notre peuple est unifié. Tant de sacrifices ont été consentis pour ce jour…», dit-il avec émotion.
Sur cette carte, rien n’a été laissé au hasard: les frontières terrestres et maritimes sont nettes, les 38 provinces de l’époque sont représentées avec précision. Et surtout, les archipels de Hoàng Sa, Trường Sa, ainsi que l’île Thổ Chu, sont dessinés en gras — pour réaffirmer avec force la souveraineté vietnamienne.
«J’ai veillé à représenter toutes les 38 provinces et grandes villes du pays, tous ses territoires, du Nord au Sud, jusqu’aux confins maritimes. Hoàng Sa, Trường Sa, Thổ Chu… chaque île, chaque région, fait partie du Vietnam. Il fallait que cela saute aux yeux. Le pays est un, indivisible», souligne l’artiste.
Aujourd’hui encore, ce numéro du journal NhânDân est soigneusement conservé dans la maison familiale de Cao Trọng Thiềm. Une relique précieuse, un hommage silencieux à celles et ceux qui ont donné leur vie pour que le Nord et le Sud ne forment plus qu’un.
Pour qu’un homme comme le peintre Cao Trọng Thiềm, et tant d’autres, puissent dessiner une carte du Vietnam réunifié, il aura fallu 21 années de lutte acharnée, de 1954 à 1975. Pendant plus de deux décennies de résistance ininterrompue, des millions de soldats et de civils vietnamiens ont combattu avec bravoure, sacrifiant leur vie sur tous les fronts — du Nord au Sud, des hauts plateaux du Tây Nguyên aux plaines côtières.
Beaucoup reposent aujourd’hui dans des cimetières, avec leur nom et leur histoire gravés dans la pierre. Mais pour des millions d’autres, leur nom s’est éteint dans le silence de la terre, leur chair mêlée à celle des montagnes, des rivières, du sol vietnamien.
Trân Thi Hòa (deuxième depuis la droite) s'exprime lors de la rencontre des anciennes prisonnières révolutionnaires d'exception, organisée le 28 février 2025 par l’Union des femmes du Vietnam et le Comité du Parti de Hô Chi Minh-Ville. Photo: hoilhpn.org.vn |
Vous entendez en ce moment la voix de Trần Thị Hòa, que l’on surnomme affectueusement "Ba Hòa". Elle vit dans la province de Đồng Nai. Comme des milliers d’autres femmes, elle a été emprisonnée, torturée dans de sinistres prisons de l’ennemi: Côn Đảo, Phú Quốc, Phú Tài... Dans ces conditions extrêmes, les prisonnières partageaient chaque grain de sel, chaque bouchée de riz. Elles transformaient les prisons en écoles de révolution. Elles se battaient pour leurs droits et pour la dignité des prisonniers en général.
Pour Ba Hòa et ses compagnons d’infortune, c’est la solidarité, plus que les individus isolés, qui a fait basculer l’histoire. C’est l’amour du pays et l’unité du peuple qui ont forgé la victoire.
«Voilà déjà plus d’un demi-siècle... À l’époque, nous étions jeunes, pleins d’élan, portés par une foi de fer et un patriotisme brûlant. Nous montions au front, non pour devenir des héros, mais pour défendre notre patrie, et aussi pour honorer ceux qui tombaient avant nous», témoigne une ancienne prisonnière;
«Ce qu’on a gravé dans nos cœurs, c’est que tant que le peuple nous fait confiance, tant qu’il croit en nous, alors nous devons continuer de nous battre. Pour nous, anciens prisonniers politiques, aucun honneur, aucune richesse n’égale la fierté d’avoir versé notre sang pour que le drapeau de la nation continue de flotter», renchérit un autre.
Lettre des trois martyrs: Lê Hoàng Vu, Nguyên Chi et Trân Viêt Dung. Photo d'archives |
Et même ceux qui savaient qu’ils allaient mourir n’ont jamais perdu foi en la victoire. En 1966, quelques heures avant leur mort, trois jeunes soldats du régiment Bình Giã rédigent une lettre poignante intitulée Lettre à ceux qui vivent, Cette lettre sera retrouvée 18 ans plus tard, en 1984, près de leurs ossements, dans les hauteurs de la rivière Đồng Nai, dans la province de Bình Dương.
«Si l’on nous découvre cinq ou dix ans plus tard, dans une époque libre et précieuse, alors nous vous demandons, à vous qui vivez, de donner un vrai sens à cette liberté. Soyez dignes de ce que nous avons sacrifié. Vous travaillez sans compter, tout comme nous avons combattu sans compter, pour un Vietnam plus beau, pour un peuple plus heureux, pour une société plus juste, plus démocratique.»
Ils sont là, les vivants et les morts, liés à jamais dans une même épopée. Une fresque héroïque de la lutte pour la libération nationale, une force irrésistible qui a fait triompher la volonté d’un peuple.
Le secrétaire général du Parti communiste vietnamien, Tô Lâm, lors d’une rencontre avec des vétérans et familles de résistants, le 21 avril 2025 |
Le 21 avril 2025, à Hô Chi Minh-ville, lors d’une rencontre avec des vétérans et familles de résistants, le secrétaire général du Parti communiste vietnamien, Tô Lâm, a déclaré:
«Aucun texte ne peut rendre compte de la grandeur du peuple vietnamien, de l’âme du soldat de l’Oncle Hô. Aucun poème, aucun film, aucune œuvre d’art ne saurait exprimer pleinement la force et la volonté de notre nation dans sa quête inébranlable: “Le Vietnam est un, le peuple vietnamien est un.” Du cœur même de la guerre, le Vietnam s’est levé en vainqueur, devenant un symbole de conscience et d’espoir pour tous les peuples en lutte à travers le monde.»
Aujourd’hui, la paix est là. Une paix chèrement acquise, bâtie sur le sang et le courage des générations passées. Cette paix ne signifie pas seulement la stabilité. Elle est le socle solide sur lequel s’appuie un Vietnam en plein essor, un pays prospère, libre et tourné vers l’avenir.
Un redressement spectaculaire
Le Vietnam, salué par la communauté internationale comme un modèle de réussite en développement. Photo: VOV |
En 1975, au lendemain de la réunification du Vietnam, certains analystes internationaux estimaient qu’il faudrait au moins cent ans pour que le pays retrouve une place sur la scène mondiale. Et pourtant… il n’aura fallu que cinquante ans pour que le Vietnam opère une transformation fulgurante, tant sur le plan diplomatique qu’économique, en suivant résolument la voie d’un développement pacifique.
Le journaliste français Alain Thomas. Photo: TTXVN |
Présent au Vietnam dès les années 2000 et revenu à plusieurs reprises dans ce petit pays au courage immense, le journaliste français Alain Thomas se dit profondément impressionné par la métamorphose de la société vietnamienne. Pour lui, l’image du char d’assaut vietnamien défonçant les grilles du palais de l’Indépendance, il y a 50 ans, symbolise la fin d’une ère dominée par les influences étrangères, et la victoire totale d’un peuple qui, dès 1945, avait déjà proclamé son indépendance sous la conduite du Président Hồ Chí Minh.
«Cette conquête du Sud formalise pour beaucoup la victoire d’un peuple face à une puissance militaire et technologique qui semblait invincible, à savoir les États-Unis. Ce serait une réécriture asiatique de l’histoire de David et Goliath», fait-il remarquer.
Alain Thomas observe avec intérêt l’émergence d’une classe moyenne urbaine dynamique, mais aussi, de manière générale, une qualité de vie en constante amélioration et une consommation intérieure en plein essor, marquée notamment par l’explosion du marché immobilier.
Mais ce qui le frappe le plus, c’est le respect profond des Vietnamiens pour l’éducation. Selon lui, c’est ce sérieux, cette discipline et cette persévérance dans l’apprentissage et le travail qui donneront au Vietnam les clés pour réussir dans l’économie numérique de demain. Alain Thomas se montre aussi particulièrement admiratif devant la stabilité politique et sociale que le Vietnam a su préserver depuis un demi-siècle.
Il conclut avec force: le peuple vietnamien, qui a su vaincre les plus grandes puissances, conserve profondément ancrées en lui cette résilience, cette solidarité, cette foi inébranlable en son avenir.
De la guerre à la réconciliation: le voyage de Craig McNamara
Craig McNamara présente son livre "Because Our Fathers Lied – A Memoir of Truth and Family, from Vietnam to Today" au Musée de l’Histoire militaire du Vietnam. Photo: Mỹ Hạnh/qdnd.vn |
Ce cinquantième anniversaire de la libération du Sud met en lumière plus que jamais la valeur de l’indépendance, de la liberté, et l’importance vitale de maintenir un climat de paix pour assurer le développement. Symbole fort: les relations Vietnam–États-Unis sont aujourd’hui saluées dans le monde entier comme un modèle de réconciliation et de coopération, passées de l’affrontement au partenariat stratégique global.
Mars 2025, Craig McNamara foulait pour la première fois le sol vietnamien. Il est le fils de Robert McNamara, ancien secrétaire à la Défense des États-Unis, souvent qualifié d’architecte de la guerre du Vietnam.
Lors d’une conférence tenue au Musée d’Histoire militaire du Vietnam à Hanoï, il porte sur son veston deux épinglettes: l’une aux couleurs du drapeau américain, l’autre aux couleurs du drapeau vietnamien. Côté à côte. Un geste fort. Un symbole de paix.
«Ce que je retiens de ma visite au musée, c’est un sentiment de profonde perte: tant d’occasions de paix manquées. Je suis ici pour apprendre, pour comprendre ce que nos pères ont traversé. Ce voyage m’a profondément inspiré», a-t-il partagé.
Pendant plus d’une semaine, Craig McNamara a parcouru six provinces: de la plage de Đà Nẵng à la ligne électronique McNamara, en passant par l’aéroport de Tà Cơn, l’ancien champ de bataille de Ia Drang, le cimetière de Trường Sơn, jusqu’au village de Sơn Mỹ, théâtre du massacre de Mỹ Lai.
Craig McNamara au cimetière de Truong Son (province de Quang Tri). Photo: Craig McNamara |
Le fils de l’architecte de la guerre américaine au Vietnam a rencontré deux anciens combattants du côté adverse. Lorsqu’ils se sont rendus au cimetière de Trường Sơn, Craig a déposé des bâtonnets d’encens sur des centaines de tombes…
Un moment poignant: devant la tombe d’un soldat tombé en 1950, l’année mais aussi le jour mêmes de sa naissance — Craig s’est arrêté. Et il a pleuré.
«Le Général Giáp avait dit à mon père: ‘Vous ne comprenez rien à notre culture.’Je regrette que mon père ne soit jamais venu ici pour découvrir l’histoire millénaire du Vietnam, pour rencontrer son peuple et comprendre son désir profond d’unité. Toute ma jeunesse a été marquée par les images de cette guerre. Aujourd’hui, je veux œuvrer pour un avenir commun», déclare-t-il.
Craig McNamara et des anciens combattants vietnamiens. Photo: Craig McNamara |
Craig McNamara consacre désormais sa vie à la réparation des séquelles de la guerre, notamment celles causées par l’agent orange/dioxine, cette substance toxique que son propre père, alors secrétaire à la Défense, avait décidé de déverser sur le Vietnam. Il annonce également la publication de la version vietnamienne de son livre Because Our Fathers Lied – A Memoir of Truth and Family, from Vietnam to Today (Parce que nos pères ont menti – Mémoires de vérité et de famille, du Vietnam à aujourd’hui), où il raconte son propre cheminement vers le pacifisme.
Sur la route de la paix
Ce 30 avril 2025 marque un demi-siècle depuis la réunification du Vietnam. Le 30 avril 1975, une date gravée dans l’histoire, a mis fin à des décennies de lutte pour l’indépendance et a ouvert la voie à l’essor d’un Vietnam nouveau sur la scène internationale.
Un chemin semé d’épreuves, mais un chemin victorieux. Celui d’un peuple qui, malgré les douleurs, a atteint les rivages de la liberté, de la paix et du bonheur.
Aujourd’hui, plus que jamais, le Vietnam se tient debout, uni et résolu, prêt à conquérir les nouveaux sommets du développement. Porté par les valeurs éternelles d’humanité, de résilience… et de fierté nationale.